par Michel-Ange Momplaisir
Cher Loty
Je ne peux me retenir de te présenter mes vifs et sincères compliments pour ton dernier article sur le rêve. Comme je suis un vieux neurophysiologiste et neurochirurgien, blanchi
sous le harnois, actuellement retraité, je consacre mon temps aux problèmes philosophiques que tu ne cesses de soulever. Tu te souviens qu’à la barbe des scientifiques de
Freiburg, Heidegger osa dire: « La science ne pense pas… c’est le propre de son essence, que d’une part, elle dépend de ce que la philosophie pense, mais que, d’autre part, elle
oublie elle-même et néglige ce qui exige là d’être pensé. »[1] Camus aurait répondu avec raison: « Juger si la vie
vaut ou pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. » La science ne s'en préoccupe pas..
Le rêve-onirique est une formulation redondante, voulue par Loty. Heidegger en aurait raffolé. La redondance, son fort, émaille son opus magnum, Être et temps. Bien avant lui
Hegel s’exprimait souvent par redondance. Onirique vient en effet du grec oneiros, rêve.
Pour le neurobiologiste, il n'y a pas de sommeil sans rêve. On peut oublier qu’on a rêvé au cours de la nuit. Aristote, le précurseur de la biologie dans son live Les parties des
animaux le savait déjà. L'enregistrement électroencéphalographique le prouve parfaitement. Le rêve correspond à la phase dite du sommeil dit paradoxal. Un orage cérébral. C'est ce type
de rêve qu'étudie la psychanalyse qu'elle soit d'obédience freudienne, jungienne ou lacanienne. Pareil rêve, à l’acmé de l’orage cérébral, peut provoquer des ruptures de malformations vasculaires
cérébrales pouvant être mortelles. C'est ce que nous appelons le syndrome d'Ondine. Celle-ci avait froidement tué son mari pendant son sommeil, selon la mythologie
germano-scandinave.
Quant au songe, c'est autre chose. On trouve ce mot dans un livre tel que la Bible (Premier et Second Testament). Il est présent aussi dans le Coran. Dans la sourate Joseph (No 6) on peut
lire : « Ô mon père, j’ai vu en songe onze étoiles, et aussi le soleil et la lune. Je les ai vus prosternés devant moi. » Les mystiques, bien étudiés par Jean
Baruzi, dans Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, n'emploient jamais le mot rêve, mais songe. « Du point de vue théopathique, c’est le prélude
à la vie suprême qui va s’instaurer », écrit Baruzi. Dans un autre texte, Le Songe de Poliphile, un récit allégorique paru en 1546 après la mort de l’auteur, le Domincain italien
Franceco Colonna (1433-1527), vise à une contemplation extatique de la déesse Vénus. Dans une autre perspective, après la translatio studiorum, c’est-à-dire à la suite du transfert des
centres d’études de l’Europe vers l’Asie en 529, par décision de l’empereur Justinien qui redoutait les philosophes, l’érudit Ibn al-Nadim, rapporte que le khalife Al-Ma’mûm (813-833; 198-218 de
l’Égire) « vit en songe Aristote qui l’incita à la traduction de son œuvre », rapporte Alain de Libera. La demande fut exaucée grâce à un Bayt al-hikmah, une Maison
de la Sagesse que le khalife s’empressa d’ériger.
Quoiqu’il en soit, je m’empresse de confesser que le songe relève d'une dimension pour laquelle je n'ai aucune compétence.
Toutefois, Je te rejoins parfaitement sur l'aspect téléologique du rêve. La téléologie est la recherche de la finaliét, du moins celle de l’homme dans ce monde. Sinon il se désagrège, il
se cadavérise.
Cher Loty,
Continue à travailler dans la même veine. Un jour, que je sois de ce monde ou de l’autre, tu diras fièrement comme Horace : « J'ai érigé un monument aussi durable que l'airain! » Exegi mounumentum aere perennius! J’en ai la conviction. Continue ton œuvre dans le même sillage. Jamais on ne trouvera des livres de Loty chez Wall Mark, champion du misérabilisme. Ils sont d’une hauteur qui peut dérouter maintes gens jusqu’à les rendre aigres. Allons, c’est un bon signe. Mets-toi en tête qu’on ne jette des pierres qu’aux arbres chargés. Ou bien on se comporte comme le Renard du brave La Fontaine. Ne pouvant pas atteindre ces raisins on ne peut plus succulents, le voilà fielleux. « Ils sont trop verts et bons pour des Goujats », s’écrie-t-t-il.
M. A. Momplaisir