Par Camille Loty Malebranche
Prétendre que la métaphysique ne doit pas être évoquée sous prétexte de son inaccessibilité au savoir objectif et à son intangibilité au langage ordinaire, est réduction simpliste, court-circuitage misérabiliste, fuite grossière, arrogance masquée devant la vérité de l’homme dont l’expression globale est pleinement celle d’un sujet, c’est-à-dire un soi manifesté présence insolite et énigme ontologique pour la seule connaissance objective.
Après le règne excentrique de la scolastique avec son oppressive métaphysique ecclésiale, les cartésiens qui ont orchestré une métaphysique plus ou moins rationaliste propre à la scolastique décadente, les penseurs des Lumières (terme bien plus exact que celui de philosophes) et leurs héritiers du dix-neuvième siècle, ont cultivé une nouvelle orientation de la philosophie dirigée par eux soit vers le social (ici les tenants du 18ème spécialement Rousseau et son contrat social annonçant Marx) soit vers le gnoséologique, (Kant tient le summum de cette dernière tendance qui vise à la connaissance des modalités de la connaissance). Kant, en effet, a rejeté les excès de l’idéologie du connaissable et de l’inconnaissable propre à la religion qui ciblait des manques chez le sujet connaissant qu’est homme sans cerner le statut d’accessibilité ou non de l’objet à connaître. Kant demeure un métaphysicien mais il fixe le schème métaphysique dans sa spécificité de connaissance sans objet dans le monde tangible de la science. Prôner la libération de la pensée séquestrée par le hiératisme au service du conservatisme tant religieux que sociopolitique, tel fut le fait de l’antimétaphysique diluée à travers le regard pluriel d'un bon nombre de penseurs de différents ressorts des 18ème et 19ème siècles, les uns, authentiques philosophes, Rousseau, Kant, Hegel, Marx; les autres, simples littérateurs engagés, Voltaire est ici un modèle fini. Avec le 19ème siècle, l’avènement du « nihilisme » au sens d’une réaction radicale d’athéisme, l’antimétaphysique aura franchi un stade extrême chez des intellectuels et activistes comme Feuerbach, Marx, Stirner ou Bakounine. Il est intéressant, en cet exposé, de remarquer la singularité doctrinale du nihilisme de Nietzsche, qui est moral, et toutefois loin d’être antimétaphysique.
Le nihiliste pour Nietzsche, « n’est pas celui qui ne croit à rien mais celui qui ne croit pas à ce qui est ». Ce qui n’empêche pas la croyance nietzschéenne à l’éternel retour. Mais en plus, le nietzschéisme nous met en face d’un subjectivisme moral comme altermoralisme s’étayant dans le contexte d’une « surhumanité » dont le surhomme naît de la métamorphose de l’esprit en enfant, c’est-à-dire une conscience vierge qui vit précisément le nihilisme en tant qu’axiologie subjective rejetant toute morale sociale ou religieuse établie illustrée par les métamorphoses antérieures de l’homme en chameau portant le fardeau d’esclave et en lion coltinant le faix du chef responsable de tout.
L’on comprend également la chimère de maturation de la conscience surhumaine voire du nihilisme comme refus de toute valeur non émanant de soi-même. Comment interagir avec les autres consciences constituant le mitsein social quand la seule loi que l’on respecte est juste celle de son ego? Est-il possible en plein subjectivisme, d’assumer un degré de sagesse inouï pour que la liberté du surhomme reste respectueuse de toutes les autres libertés que sont les autres membres de la société? Et, s’il y a autant de subjectivités que d’humains, nous disons que le subjectivisme moral ne se peut que dans une société très restreinte selon le consensus des membres… L’on saisit que la liberté du surhomme voire de tout importun nihiliste ou antimétaphysique, ne peut plus ou moins s’exprimer que dans des confréries, des sociétés particulières. Au 20ème siècle, ce sont les tenants de la philosophie analytique, entre autres, Wittgenstein, Willard, qui, voulant réduire tout au langage du connu, ont été les grands antimétaphysiciens, mais aussi des réductionnistes de toute la pensée philosophique assignée au questionnement "logique" hyperrestrictif d’une "rigueur" linguistique réductrice où le mot doit correspondre à la chose se devant être obligatoirement objectivable pour les interlocuteurs, sinon se taire. Apparence farfelue de sagesse qui feint d’ignorer que l’intuition a le droit de se dire et de communiquer son sentir dans l’interlocution, la communication entre locuteurs le voulant... En fait, n’est-ce pas cela, la vraie communication, une convention entre locuteurs acceptant un langage! Preuve donc que la métaphysique est un langage car de partout, les hommes, des plus intellectuels au plus modestes, l’ont exprimée et partagée avec leur faculté de saisie de ce qui est déjà en eux et que le langage permet d’intégrer par la conscience et le comportement.
En guise d’inférence provisoire, nous affirmons qu’il est essentiel de remarquer que l’homme est en soi métaphysique autant que physique et que, ses choix de vie, même les plus pragmatiques, même dans l’occurrence d’un rejet discursif de toute métaphysique, se réfèrent à une métaphysique de fait, baignant malgré tout dans la métaphysique comme part essentielle de son être, ne serait-ce que comme donneur de sens à sa vie à travers la pensée et l’action selon les représentations téléologiques et sa conception de l’entéléchie, sa perception de l’eschaton tant personnel qu’espéciel.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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