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Par Camille Loty Malebranche

 

Qu’il soit, ici, clairement dit, la question ne concerne nullement une contribution doctrinale directe de la pensée nietzschéenne à la turpitude idéologique nazie comme les oeuvres théoriques de Marx - notamment Le Capital, Critique de l'économie politique - l’ont été pour Lénine. D’ailleurs, Nietzsche n’a élaboré ni une doctrine politique ni une théorie socioéconomique. Toutefois, notre question porte sur Hitler dans l’application qu’il eût pu faire de la pensée de Nietzsche…

 

Un aphoriste a pour devoir, s’il veut réduire le champ des récupérations et des décontextualisations dénaturantes, de fixer le champ exact de son dire, de circonscrire, en quelque sorte, son idée lorsqu’il la conçoit, pour prévenir autant que possible les réductions et extensions déviantes que des consciences morbides ou intelligences malveillantes pourraient en faire. Car les aphorismes, parce qu’ils ne constituent pas des parts d’un système classique de philosophie, font figure de véritables briques facilement altérables, utilisables à n’importe quel édifice doctrinal ultérieur. Il faut se rappeler que Nietzsche est le type du penseur aphoriste par excellence, absolument loin du systémique. (Si nous disons "systémique", c'est que ce lemme est terminologiquement plus précis que systématique souvent employé et qui renvoie à l'automatique des inférences précises, des conclusions prévisibles. C’est le propre du systématique d'être ludique dans son mouvement, d’engendrer de l’automatique, alors que le systémique est l'état même du mode de construction d'une vision, d'un ensemble). En ce qui concerne Nietzsche, disons qu’en tant qu’aphoriste, il s’est toujours fait une gloire de l’extrapolation que tout autre tempérament aussi extrapolateur que lui, peut accaparer à sa guise selon l’excès qui lui plaît. Il n’y a pas de balise quand Nietzsche passe du propre au figuré, du connoté au dénoté, du littéral au littéraire en instillant le venin de certaines de ses haines et excentricités personnelles à ses disciples fascinés. C'est pourquoi, même ceux qui, aujourd'hui, arguent que Nietzsche n'était pas anarchiste, ne font que passer sous silence le fait que l'anarchisme, de par son étymologie même, ne peut et ne saurait être réduit à son seul aspect classique politique; puisque "faire de l'homme un enfant" né de nouveau parce que libre des valeurs en voguec'est vouloir le faire lui-même centre des valeurs qu'il se donne selon un nihilisme axiologique où "il ne croit pas à ce qui est"; c'est donc être anarchiste axiologique qui rejette la programmation culturelle par l'autorité institutionnelle qui l'impose. Là, plus qu'ailleurs, nihilisme et anarchisme se chevauchent.

 

Ceux qui, sous prétexte d’une pureté nietzschéenne, demandent aux lecteurs de lire avec intelligence, doivent aussi eux-mêmes être intelligents, discernants et honnêtes. Nietzsche n’a ni théorisé ni souhaité le nazisme, que de toute façon, lui, mort à la toute fin du 19ème siècle, il n'aurait pu prévoir ou anticiper - nous en convenons - toutefois, il lui a fourni de beaux arguments à extrapoler. Le nietzschéisme seul n’aurait pas pu inspirer les monstruosités nazies, néanmoins, il se prête, à bien des égards, aux prétextes politiques de l’action extrême, à l’imaginaire malsain de l’inégalitarisme et de la discrimination raciale hitlérienne. (Voir des citations en bas de page).        

 
Quand la célébrité s’empare d’une pensée philosophique pour en faire patrimoine du commun comme des spécialistes dans la guerre à l’indécence liberticide d’une religion socialement dénaturée et de sa morale de civilisation où toutes les billevesées des convenances sont contre l’émancipation de l’entendement humain, entravant toute célébration de la vie, il est facile que dans l’euphorie générale du texte, l’on se fourvoie par moments en intégrant tout, même les pires énormités, les plus aberrantes exacerbations.    


En écrivant le titre de ce billet, je me rappelle toutes les ablutions théoriques et littéraires, toutes les absolutions apologétiques dont a bénéficié Nietzsche, notamment de la cohorte de penseurs, de philosophes et d’intellectuels de différents ressorts qui ont tout échafaudé pour délier le nietzschéisme et l’hitlérisme et dénouer tout lien possible entre le chef nazi et l’auteur d’Ainsi parlait Zarathoustra. Alors qu’en est-il vraiment? La constante référence nazie à la volonté de puissance inspirée de Nietzsche, (même si Nietzsche n’a jamais publié de son vivant l’ouvrage auquel il avait donné ce titre), et la fascination personnelle affichée par le führer pour la pensée de Nietzsche, führer qui allait jusqu’à se faire photographier à côté du buste du célèbre auteur à son musée éponyme, sont-elles si dévoyées, si indignes de la pensée nietzschéenne?! 


En évoquant Nietzsche et sa célébrité en tant que contributeur à ce qu’il faut appeler l’exaltation de l’énergie de la jouissance (le dionysiaque), comme libération philosophique des hommes vis-à-vis de la morale compassée de l’infâme religion sociale et institutionnelle - à laquelle Nietzsche assimile confusément, grossièrement Dieu - où quelques-uns ont bloqué et interdit l’élan de vie, je ne puis passer sous silence le non discernement de certains nietzschéens fanatiques qui ingurgitent tout le nietzschéisme sans y déceler les tératogénies dont il faut prévenir le lecteur. Tout est sans doute à lire mais tout n’est pas à prendre. L’esthétique du style judéo-biblique ne doit en aucun cas impliquer l’inculcation indistincte de tout le fumet idéel nietzschéen, ni transformer le nietzschéisme en nutriment sain pour le lecteur. Car chez des excessifs dans l’agir comme Nietzsche dans l’écrire, à une époque de grandes mutations politiques, idéologiques et épistémiques, les mots excentriques du nietzschéisme tombaient à point comme appui théorique à n’importe quelle démence mégalomane. Et, dans le cas d’Hitler, le nietzschéisme a quand même, malgré lui, été un effectif catalyseur terriblement aggravant et toxique vu les circonstances et contextes sociopolitiques: défaite allemande à la première guerre mondiale, vision séculière des espèces à la mode darwinienne, socialisme scientifique révolutionnaire menaçant le capitalisme sur fond de crise économique mondiale dévorant l’Europe et fragilisant l’empire du bourgeoisisme.

 

À mes lecteurs, je dis, que nul nietzschéen ne vous impressionne par de la prestidigitation théorique mystificatrice, véritable mascarade herméneutique intimidante que brassent certains disciples nécromants de Nietzsche, certains intellectuels du texte voulant manipuler le lecteur et imposer leur interprétation en lieu et place de la lettre pourtant claire!

 

S’il n’est pas idoine parce que simpliste et réducteur de circonscrire une philosophie à quelques bribes du penseur, il est néanmoins, intellectuellement malhonnête et malsain de banaliser des aphorismes énoncés, ressassés en apophtegmes insistants et proclamations omniprésentes dans l’oeuvre d’un écrivain doctrinaire, pour justifier toute sa doctrine.

 

Sachant que le surhomme nietzschéen est en fait la proposition de l’absolu individualisme moral naissant de « l’enfance de l’esprit », où Nietzsche évoque la virginité mentale selon quoi l’homme choisit sa propre voie morale loin de toute morale établie, l’on peut déduire qu’Hitler a, à sa façon, réinventé le monde au-delà de toute morale qui l’aurait bloqué dans ses délires bellicistes jouissifs, sa rage hédoniste de pouvoir.

 

ALORS, HITLER FUT BEL ET BIEN NIETZSCHÉEN?

 

Nous répondons sans ambages, oui. Tel un engrais d’impulsivité dans la terre de l’exaltation, les excès de langage de Nietzsche se transforment aisément en nutriments au terreau de toute passion autant créatrice que destructrice, selon les motivations et volitions du disciple en acte. Les plus posés des disciples peuvent n’y voir qu’un nihilisme moral anarchisant où l’individu s’érige seul moraliste de sa vie tel que décrit par l’allégorie nietzschéenne des trois métamorphoses dans le Zarathoustra. Métamorphoses où l’homme, en tant  qu’ « esprit » sera rendu finalement à la pureté de « l’enfance intellectuelle et morale » né de nouveau, né à soi-même dans la virginité selon son propre choix, via la « troisième métamorphose » après celles socialement subies « en chameau (homme ordinaire sans fonction de pouvoir subissant la tyrannie du pouvoir) et en lion (homme au pouvoir, forcé de respecter les charges et devoirs de sa fonction)» où l’individu coltinait les faix de la morale sociale tant religieuse que politique. D’autres nietzschéens, nourriront, quant à eux, sous l’influence de leur admiré, une vision de l’affirmation de soi, en s’imposant par la force de la volonté à autrui dans leur sphère privée! D’autres encore, artistes, referont le monde dans l’esthétique et la création, en bousculant toutes les règles prescrites, ne « tolérant » ni « le réel » en général, ni la réalité de l’art et des normes esthétiques de leur temps. Et, les plus extrêmes, hommes politiques et de pouvoir public, tel Hitler, trouveront, et ils ont aussi raison, dans le nietzschéisme, la voie de leur « surhumanité propre à la race des seigneurs », pour devenir, selon leur hubris forcenée, les surhommes seigneuriaux remplaçant « le Dieu vétérotestamentaire » exterminateur des désobéissants, effaceur des révoltés, exécuteur « qui terrassait ses ennemis et ignorait toute pitié, tout pardon » mais « mort » désormais selon Nietzsche, pour avoir évolué vers « le pardon, la charité et la pitié » de la morale chrétienne…

 

Que tout nietzschéen équilibré et assumateur de son choix - je ne parle pas aux frileux et ignares d’entre eux qui voudraient brûler ma pensée en effigie, agonir mon texte d’injures balourdes ou le ternir d’imprécations insensées - ose se regarder en face et affronter froidement toutes les perspectives possibles, permises et ouvertes au fil des aphorismes de son maître!

 

Quand un doctrinaire joue de l’extrapolation et de la caricature démesurée jusqu’au démentiel comme signature existentielle et tempérament doctrinal, jusqu’à blettir et avachir tout ce qu’il hait et attaque du stylet de sa plume, nul disciple ultérieur ne saurait l’absoudre ou le purifier des germes de monstruosité que le délire de contemption aveugle et de recréation obsessive de tout au sens d’une liberté pathologique sans autre loi que l’ego, fatalement génère.

 

En lisant la haine du métissage (pas intellectuel) mais ethnique clairement exprimée par Nietzsche lorsqu'il évoque le phénotype de Socrate "laid de visage parce que non de la race pure des grecs et probablement métis", on ne peut ne pas y voir, en dépit du fait que Nietzsche ne fut jamais antisémite, une piste favorable à tout raciste devenu son disciple. Bêtise me direz-vous! Mais le racisme, tout racisme, fût-il de Nietzsche, est toujours bête. Hélas! Par l’herméneutique habilement moulée selon les tares et passions de certains herméneutes obnubilés par leur frénésie de disciples, le texte lu dans sa lettre n’est plus qu’une affaire d’illettrés qui n’y ont rien compris et qu’eux seuls, grands seigneurs nietzschéens, surhommes de l’interprétation, sont à même de comprendre et d’inculquer dans son inaccessible, improbable lumière et vérité!

 

Pour clore ce débat, nous avons mis au bas de cet article certains des extraits pertinemment révélateurs de Nietzsche par lui-même. Extraits nauséeux d’une pensée que certains nietzschéens passés et actuels osent ériger en quasi dogmes inattaquables. Extraits qui parlent d’eux-mêmes comme des alluvions prêts pour la salissure et l’horreur du terrain de l’action politique dont Hitler a fait siens, avec le droit que tous ont d’interpréter un écrit séculier dont la symbolique n’est point fermée par des clés herméneutiques inconnues et ésotériques. Lisez ou relisez-les avec froideur intellectuelle, et vous conviendrez que le nietzschéisme s’y explique de lui-même quant à ses apprêts idéels pour les terreurs qu’il a pu inspirer à des lecteurs, dont un certain führer! 

 

Nietzsche par lui-même   
   

Voici ci-dessous, quelques vomissures "libératrices et surhumaines" de Nietzsche par lui-même. Lisez-les attentivement et sachez que pour nombre de nietzschéens, vous êtes tous des illettrés si vous n'y scrutez l'oeuvre du plus achevé des libérateurs de l'homme! Si vous osez penser que ces perles nietzschéennes eussent pu tomber à point pour les nazis et être un catalyseur intellectuel pour un mégalomane du crime de masse comme Hitler qui, à juste  titre, s'en réclamait!

 

LE CRÉPUSCULE DES IDOLES, LE PROBLÈME DE SOCRATE 

 

Par sa naissance, Socrate appartenait à la couche la plus basse de la plèbe : Socrate était peuple. On sait, on peut même encore voir, combien il était laid. Mais la laideur, qui est déjà en soi une objection, était pour les Grecs presque un motif de refus. Socrate, d'ailleurs, était-il grec ? Bien souvent la laideur est l'expression du métissage, d'un développement gêné par le métissage. Dans d'autres cas, elle témoigne d'une évolution déclinante. Ceux des criminalistes qui sont anthropologues nous disent que le criminel caractérisé est laid : monstrum in fronte, monstrum in animo. Mais le criminel est un décadent. Socrate était-il un criminel caractérisé ? Tout au moins, cela ne serait pas en contradiction avec ce célèbre jugement d'un physiognomoniste, que les amis de Socrate trouvaient si choquant. De passage à Athènes, un étranger qui s'y connaissait en fait de visages, dit à Socrate, en pleine face, qu'il était un monstre et qu'il cachait en lui les pires vices et les pires appétits. Socrate se contenta de ré-pondre : « Comme vous me connaissez bien ! » 

 

L’ANTÉCHRIST 


La compassion contrarie en tout la grande loi de l'évolution, qui est la loi de la sélection. Elle préserve ce qui est mûr pour périr, elle s'arme pour la défense des déshérités et des condamnés de la vie, et, par la multitude des ratés de tout genre qu'elle maintient en vie, elle donne à la vie même un aspect sinistre et équivoque.


AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

 

extrait 1

« Je vois beaucoup de soldats : puissé-je voir beaucoup de guerriers ! On appelle "uniforme" ce qu'ils portent : que ce qu'ils cachent dessous ne soit pas uni-forme !
Vous devez être de ceux dont l'oeil cherche toujours un ennemi - votre ennemi. Et chez quelques-uns d'entre vous il y a de la haine à première vue.
Vous devez chercher votre ennemi et faire votre guerre, une guerre pour vos pensées ! Et si votre pensée succombe, votre loyauté doit néanmoins crier victoire !
Vous devez aimer la paix comme un moyen de guerres nouvelles. Et la courte paix plus que la longue. Je ne vous conseille pas le travail, mais la lutte. Je ne vous conseille pas la paix, mais la victoire. Que votre travail soit une lutte, que votre paix soit une victoire !
On ne peut se taire et rester tranquille, que lorsque l'on a des flèches et un arc : autrement on bavarde et on se dispute. Que votre paix soit une victoire !
Vous dites que c'est la bonne cause qui sanctifie même la guerre ? Je vous dis : c'est la bonne guerre qui sanctifie toute cause.
La guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l'amour du prochain. Ce n'est pas votre pitié, mais votre bravoure qui sauva jusqu'à présent les victimes. »

 

extrait 2
«Lorsque tu vas chez les femmes, n'oublie pas le fouet»

 

LA GÉNÉALOGIE DE LA MORALE 


"Les malades sont le plus grand danger pour ceux qui se portent bien ; ce n'est pas aux plus forts qu'il faut attribuer le malheur des forts, mais à ceux qui sont les plus faibles. […] Ce qui est à craindre, ce qui est désastreux plus qu'aucun désastre, ce n'est pas la grande crainte [que les forts inspirent aux faibles], mais le grand dégoût de l'homme [pour l'existence et pour lui-même], non moins que la grande pitié pour l'homme [faible]."
"Le droit d'existence des bien portants est d'une importance mille fois plus grande: eux seuls sont la garantie de l'avenir, eux seuls sont responsables de l'avenir de l'humanité."
"…j'exige […] que l'on comprenne profondément à quel point le devoir des gens bien portants [les maîtres] ne saurait être de soigner les malades [les esclaves], de guérir les malades…"


LE GAI SAVOIR 


"Vivre - cela veut dire : repousser continuellement loin de soi quelque chose qui veut mourir ; vivre - cela veut dire : être cruel et impitoyable envers tout ce qui chez nous faiblit et vieillit, et pas uniquement chez nous. Vivre - cela veut donc dire être sans pitié envers les mourants, les misérables et les vieillards ? Être constamment un assassin ? - Et le vieux Moïse a pourtant dit : « Tu ne tueras point ! »

 

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

Copyright © CAMILLE LOTY MALEBRANCHE - Blog INTELLECTION -  2013

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