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  Par Camille Loty Malebranche 
 
 Article publié en 2007 dans différents journaux haïtiens au centenaire de Jacques Roumain. 

 

À l’occasion des événements culturels marquant le centenaire du classique haïtien Jacques Roumain, je tiens à signaler que l’œuvre de Jacques Roumain constitue un voyage dans ce qu’il convient d’appeler une cosmophonie littéraire et didactique. La cosmophonie - que je définis comme activité créationnelle où l’univers est langage dans l’œuvre scripturale - s’opère par la mise à contribution de l’univers que sont la nature et les éléments : la terre, l’eau, la montagne, le feu, la flore, la faune, l’arc-en-ciel, la rosée…. dans l’élaboration de la chose littéraire à la fois comme morphologie esthétique et outil didactique dont use un écrivain pour peaufiner son message et sa symbolie c'est-à-dire la génération de symboles à travers le littéraire.

 

L’écriture de Roumain est cosmophonique en tant que dans une œuvre comme Gouverneur de la rosée, il propose les éléments de la nature dans une chaîne d’occurrences tenant lieu de lemmes dont les référents connotatifs sont la terre, l’eau, les ramiers, produis en symboles même de notre condition de peuple. L’univers (la nature) est chez Roumain, un exergue omniprésent, un espace pour le projet collectif des hommes, où l’écrivain s’empare de ladite nature comme mode d’une pédagogie sociale de la désaliénation.

 

Pédagogie esthétique ou esthétique pédagogique - selon que pour le scripteur, la forme prime le message ou vice versa - la littérature, toute littérature digne de ce nom, est pédagogie en tant qu’elle tisse des pavées imaginaires qui brisent et percent nos culs-de-sac de la réalité, qu’elle transforme en voie. Car c’est un fait de l’art, par son primat de l’imaginaire, que d’égruger les apories par l’utopie et ses promesses bien réalistes d’amélioration de l’homme et de la société perçus dans leur perfectibilité. L’art est foi en la perfectibilité humaine, et c’est pour cela que ses rêves créateurs corsés dans les œuvres des artistes, ne sont jamais ni banals ni vains.

 

Et pour revenir à Jacques Roumain, disons que sa pédagogie sociale est plus que jamais à jour dans une Haïti déracinée de ses mythes fondateurs par la médiocrité politique, la mesquinerie ténébreuse de ceux qui auraient dû être des phares… Comme à Fond Rouge, la sécheresse dévore et fissure le paysage social haïtien, et avec nos hommes-structures à l’égo pétrifié et exclusif de l’intérêt social, se poursuit macabre, la mise à mort de tout un pays.

 

Le mental aride de nos élites n’a jusque là réalisé qu’une société clivée à l’extrême, lézardée dans ses fondements par l’incohérence des choix politiques et la vacuité de projet collectif. Ô fausses ! si tristement fausses élites aux démarches factices et contreproductives ! Alors que Roumain évoque Fond Rouge comme dépassement téléologique et politique des querelles mortifères, et conquête commune du devenir - je dirais ici communautaire - de l’eau donc de la vie, l’esprit obtus ou plutôt l’absence totale d’esprit de nos faux guides, continue d’être le fossoyeur de nos possibles de peuple.

 

À quand la fin de l’ignoble ostracisme de notre société de lumpen aristocratisme, d’exclusion et d’aigreur où la haine du talent rare qui pourrait servir la communauté, confine les vraies lumières haïtiennes à l’exil, tant les paltoquets de la politique, de l’establishment économique et de la soi disant intelligentsia, se dressent en cerbères contre l’élan des porteurs de lanterne, contre les Diogène du relèvement… ?

 

L’œuvre de Roumain, aujourd’hui encore, est un cri prescriptif contre la dissémination des forces constructives planifiée par les artifices de nos faucheurs d’énergie et de talents, ces haineux qui haïssent la lumière qu’ils n’ont pas, et qui font tout dans leur misérabilisme mental contreproductif, pour enfoncer le pays haïtien aux abîmes de l’érèbe ! Alors que la vie de Roumain se lit elle-même comme un roman d’action qui - de l’incipit à la clausule - transcende les contingences et privilèges de naissance et de classe, et appelle à l’émancipation des masses opprimées, il nous faut mettre en garde le petit-bourgeoisisme intello qui s’en empare pour assouvir ses besoins de paraître.

 

Mais pour le reste – ceux qui croient encore à la nécessité de changer l’ignominie haïtienne par une axiologie positive où priment la justice sociale et l’inclusion sociale des majorités exploitées, délaissées, humiliées voire réifiées selon les reproductions insidieuses et sordides de l’ordre colonialo-esclavagiste toujours en vogue dans la mentalité des colonisés colonisateurs de la faune sociale haïtienne – Roumain reste un inspirateur sûr.

 

Au-delà du débat, naturellement enrichissant, notre propos votif est que les vrais clercs, sans être interdits par un État Moloch, puissent se lever sur la ruine des haines bicentenaires, comme un seul homme à l’instar de Fond Rouge pour gouverner une pure rosée nouvelle de bons augures qui annonceront comme dans une palingénésie c’est à dire une renaissance de l’univers, ici l’univers social haïtien, enfin lavé de ses souillures mentales et comportementales pour une cosmogénèse nouvelle proclamant la fin du long bicentenaire pesant et maudit où le mot haïtien ne cesse de renvoyer à l’échec !

 

L’impassibilité face à l’échec programmé du passé et l’exigence d’avenir par le nouveau mental réformé, telles doivent être l’arme et l’armure du devenir haïtien !

 

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

Tag(s) : #Monde du Concept
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