Par Camille Loty Malebranche
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L'agression d'autrui est toujours une négation de sa propre humanité par l'agresseur et le meurtre constitue toujours un suicide de l'humanité du meurtrier; la haine est la potence de l'esprit désignifié, aliéné, égaré loin de sa nature, ses origines, sa vocation et son sens. Le meurtrier et le haineux ne sont que les esclaves inconscients de la désignification du soi dénaturé, cloîtré dans l'illusion et le délire du pouvoir mortifère de la violence létale. Toute initiative de haine est déjà un fratricide au sein de l'espèce, que commet celui qui enclenche le rapport haineux.
Avouée ou non, directe ou par institutions interposées, la haine peut se définir comme aliénation ontologique de la conscience du vivant qui s'oppose à l'énergie vitale de l'Amour. Amour, Raison créationnelle de Dieu qui, en toute révélation sacrée, ne crée que par Amour, dans l'exigence de partage qu'est l'Amour.
Faire primer l’Esprit par sa transcendance supramondaine et extratemporelle, dépasser l'attachement au réel illusoire générant le déchaînement du matérialisme réflexe et invasif, cause de tant de crimes particuliers et idéologiques, telle est la voie cathartique de l’homme voulant se libérer de l’emprise des choses. Nous comprenons donc que le détachement comme utilisation sans asservissement des rudiments du monde par la maîtrise et l’orientation des désirs, constitue l’une des idées maîtresses communes à toutes les sagesses, maxime centrale de la morale des grandes religions.
LE MYTHE DE CAÏN...
Dans la Genèse, Caïn, une fois meurtrier d’Abel, prit la fuite et devint errant et dévoyé. Le premier symbolisme de ce mythe est que le meurtre, l’assassinat, crime toujours plus ou moins fratricide, suicide espéciel, aboutit à la perte des repères. La cause, celle de la plupart des ignominies criminelles des hommes, est précisément cette chose puante, destructrice diluée sous des formes diverses tant individuelles qu’institutionnelles : la haine. La haine, manque des manques intérieurs est toute attitude et comportement méchant par la ruse, le piège, la maltraitance qui subordonne l’homme à autre chose qui le prime et au nom de quoi, il doit être assujetti sinon maltraité voire occis s’il y déroge... Mais la conséquence de la haine dans le mythe de la Genèse, éloquente et pourtant tue par les exégèses, c'est cette fuite de Caïn, cette altération du soi voué par dépit et culpabilité aux crapuleries et au besoin d’expiation par la mort qui viendrait d’autrui, et provoquée expressément par le haineux pour se débarrasser du fardeau du crime comme par abréaction perverse et factice. La haine est le commencement du droit de la mort, une véritable thanathocratie chez le criminel qui se reconnaît lui-même mort errant en sursis et qui tue à son tour jusqu’à ce qu’il meure sous l’insoutenable pesanteur de la culpabilité.
Le mythe de Caïn rappelle que dès le commencement, dans la toute première famille humaine, aux tout premiers remous de l'humanité, cette espèce a été agressivement pécheresse et autoprédatrice qui chasse en son propre sein où les uns sont prédateurs et les autres, des proies. Une espèce souvent impie, chasseresse endogène, où les uns dévorent les autres et croient grandir en leur être! Une espèce qui a adopté les miasmes méphitiques du crime selon la sombre sensibilité ténébreuse de la haine alimentée aux sources empoisonnées des envies et des jalousies poussant le frère à vouloir piéger et tuer le frère! Et le mal comme traitement de l'autre, prévaut hélas dans la construction des sociétés où la plupart des hommes ont fini par oublier les moindres réflexes de la fraternité originelle espécielle et renoncent à l'essence même de l'humanité!
Dans la Genèse, la révélation mythique et mystique de la Vérité de l’Homme, est celle de la double nature spirito-somatique de l’être humain d’une part fait à l’image de Dieu qui, n’étant ni chair ni corps, nous précise notre spiritualité, en même temps que cette allégorie du limon de la terre nous signifie notre appartenance matérielle à la Terre. Terre-mère dont nous retrouvons la plupart des constituants chimiques dans notre organisme. Un autre aspect souvent tu à tort par les exégèses, c’est l’apatridie de Caïn coupable. Apatridie spirituelle aux bornes indéfinies du soi haineux que ce Caïn qui, expulsé des terres fertiles selon la sentence divine, dut vivre au bout de l’errance, en exil à Nod, pays aride; apatridie qui rappelle le sort de Prométhée, voleur du feu divin, figure emblématique et infâme du meurtre symbolique de Dieu, errant au désert de Scythie malgré sa prétendue libération des chaînes et du bec dévorant du rapace aux allures de charognard de la montagne du supplice par Héraclès, car Prométhée est resté à jamais inapte à rejoindre la fertilité spirituelle où l’homme féconde son être pour le devenir. Car il n’y a que privation de devenir et mort à soi pour le haineux tant que règne la haine et son univers de crime. Crime physique ou symbolique, meurtre ou réification d’autrui, impiété et haine de Dieu sont du ressort de l’aridité où certains fuient les possibles de l’être dans l’abîme des errements égotistes ou pseudo identitaires de la fausse révolte métaphysique qui prétend défaire la nature humaine de son essence d’Esprit.
Des Juif errant, Faust, Don Juan de la sphère du sensible kierkegaardienne, en passant par les personnages des tenants de la pensée de l’absurde, personnages figés dans le piétinement du non sens sensible. L’errance mentale et métaphysique sur fond de fatalité et de crise obsessive du sens va caractériser le tragique existentiel dans une bonne part des figures imaginaires littéraires du vingtième siècle. De Meursault à Vladimir et Estragon respectivement de Camus et Beckett, sans oublier Joseph K de Kafka, la même rengaine de l’introuvable terre d’asile, de la rencontre impossible d’avec l’autre qui symbolise le sens exproprié à recouvrer.
L’absurde n’est que la sensibilité du naufragé de la sphère de l’esthétique, c’est le gibet du supplicié esclave du sensible qu’il n’arrive pas à transcender.
Pour en finir avec le tragique existentiel, il faut parvenir à l’âge de la réconciliation avec soi en dépassant les errements d’un monde d’illusions et d’ersatz.
La réconciliation de l’esprit avec lui-même et avec sa transcendance, son origine dans la déité immatérielle, sans institutions ni temples - vu que le corps de l’homme constitue le seul vrai temple de Dieu, l’homme étant le seul sujet-objet du sacré - est l’unique socle possible d’une libération pérenne voire eschatologique de l’homme.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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