Par Camille Loty Malebranche
Par delà tout nominalisme fantasque et vain, Dieu est une nomination conceptuelle que l’homme applique à l’Être innommable - à la fois Être et fondement du fait d’être en tant que Créateur de cette Présence sans quoi il n’y aurait ni univers ni aucun étant particulier. Dieu étant à la foi l’Être Autogène comme Conscience absolue et le Pré-être qui, en créant a déterminé les êtres, les dimensions telles l’espace et le temps qui ne sont que conséquences de l’univers créé.
Dieu est donc le titre du Maître du fait d’Être, Maître suprême ouvert à tous les noms de l’Infini et de l’Absolu par la gnose humaine, pour lui faire imprégner les contours du langage. Remarquez ici que nous n'utilisons pas le mot gnose comme le font les doctrines gnostiques soi disant ésotériques mais dans le sens simple et précis de la connaissance spirituelle à la fois intuitive, c'est-à-dire intérieure à l'homme, et révélée par l'Écriture. Car nul ne cherche Dieu s'il ne sent en lui-même, par l'intuition, l'appel de Dieu et le besoin d'approfondir la connaissance de Dieu dans l'Écriture. L'intuition et la révélation sont complémentaires dans la vraie foi. Et pour le chrétien, la Révélation Suprême est le ministère de Jésus.
La gnose que j'appelle appellatoire car osant nommer Dieu, est le champ de l'intégration du mystère qui doit être nommé pour, dans ses limites verbales et discursives, exprimer l'inexprimable; la volition gnosique est en fait volonté de communiquer ce qui n'est connaissable qu'à l'intérieur
Substantif français dérivé du latin deus lui-même issu du dieu grec zeus, Dieu n’est pas un nom mais un générique né de l’helléno-hébraïsme en pays de langues latine. Déjà le "God" anglosaxon sorti du proto-germanique ǥuđa-, ǥuđan, lui-même conçu de l'indo-européen ǵʰuto, est passablement déroutant de cette étymologie. Toutefois, de générique, le concept de Dieu est devenu un nom propre, la désignation monothéiste de l’Être suprême unique de manière immuable et éternelle, au point que toute attribution de ce titre à autrui constitue un ignoble blasphème, un crime de lèse-déité. Il en est, d'ailleurs, de même de tous les équivalents traduisant le mot Dieu dans les monothéismes. Pour rester dans le judéo-christianisme, le tétragramme hébreux "יהוה" transposé en français par "YHWH" vocalisé à travers (Yahweh "Yahvé" ou Jehovah "Jéhovah"), a engendré une suite de prédicats pour adjectiver l’Être suprême. Tétragramme qui, il faut le remarquer, n’est pas vraiment un nom imprononçable car Dieu a Lui-même prononcé son nom à Moïse - la vocalisation de son nom vient donc de Dieu Lui-même. Mais le statut divin révélé au Sinaï à Moïse, met l’homme à quia devant cet Être qui crée et contient toute sa Création tout en pouvant se loger dans la créature humaine qu’il transforme, certaines fois, en littéral théophore.
D’où ce prophète juif, Isaïe, qui recevait la purification de ses lèvres par du charbon ardent d’un Chérubin avant d’oser dire le Nom de Dieu!
Pour la foi théiste, Dieu est Causa Sui (« Cause de Soi ») déterminant du fait d’être dont relèvent tous les êtres. Tenons-nous donc loin des loquacités ratiocinantes et apophatiques ou aphairétiques de la théologie négative, et vouons au mépris toute réfutation de l'ontothéologie qui veut subordonner la Causa Sui au fait d’être, alors que la Causa Sui est l’Être par excellence, Présence originaire et dispensatrice de toutes autres présences; la Causa sui est la déclencheuse dudit fait d’être par sa démiurgie. Un Être suprême seul et non Créateur est donc l’Être mais sans fait d’être car le fait d’être n’existe que s’il est partagé par une communauté d’êtres et surtout par la haute conscience intelligente des créatures spirituelles aptes à le remarquer et à le méditer. Puisque le fait, tout fait, fût-il le fait d’être n’advient à l’existence que lorsque l’être se manifeste à travers des formes et caractères constatables par des signes et par cette extériorisation de la présence appelée phénomène, le Créateur, totalement non phénoménal, est donc distinct et au-dessus du fait d’être. Dans le christianisme et même dans tout théisme où Dieu est Créateur, l’acte de démiurgie confère à Dieu, le statut exclusif d’Être qui engendre le fait d’être. Donc l’acte de création pose Dieu en relation de linéarité paradoxale avec le fait d’être et non de circularité comme certains ont tendance à le croire stupidement.
Ex ipso ou ex nihilo selon que l’on parte du Créateur ou du néant en considérant les êtres, indépendamment de leur espèce leur étantité, la Création fait du Créateur suprême le point de départ transcendant, la grande présence cosmique, constituant la réalité du fait d’être... Car qu’est-ce le fait d’être sinon que cette sphère du possible des êtres, de tout ce qu’on peut désigner par « il y a »; le terreau de germination de ces manifestations appelées êtres qui font qu’il n’y ait de néant que particulier. L’être est le surgissement manifesté dans le fait d’être et qui rompt en s’en distinguant par son relief voire parfois ses vibrations, la pureté dite néant, l’informe dit vide.
Nous n’abordons pas dans ce texte, les panthéismes, car en panthéisme nous sommes devant la ruse métaphysique d’une humanité idolâtrée sous prétexte de domestication du divin sans Dieu.
Une autre vision de l'être que nous décelons chez un penseur comme Heidegger, c'est le thanathésisme, j’entends par thanathésisme toute pensée où pour l’homme prime le destin de la mort. "L’être-pour-la-mort" heideggérien est en soi une doctrine, tout un fonds théorique sur le sens ou plutôt l’absurde de l’homme en tant que Dasein. La chimère thanathésiste heideggérienne, est d’avoir voulu faire de la mort un projet pour l’homme, alors que celle-ci est précisément par sa fatalité, un anti-projet, un échouage-échec de toute téléologie. Même la métaphore du suicide ne peut transformer la mort en projet mais en dépit extrême qui abandonne tout projet pour la vie.
Au lieu du Dasein, être-pour-la-mort, nous avons l’homme être-pour-Dieu dans le christianisme. L’Homme chrétien est un hôte trans-étantitaire qui habite provisoirement le fait d’être et qui ne souffre pas d’être réduit au simple statut de relief particulier dans l’espace général de l’être comme l’étant heideggérien dont l’effigie sans essence est “le déploiement dans le temps”, donc l’inessentialité de la temporalité. L’Homme chrétien, par la foi qui lui apporte l’éternité, est aussi supra-étantitaire car il dépasse l’étantité, le statut d’étant comme temporalité, par son accès à l’Éternité, c'est-à-dire hors du temps, où il est appelé à vivre le fait d’être dans la communion avec le Dieu qui est l’Être.
L’INCONNAISSABLE EST CONNAISSABLE...
Non accessible au logos, Dieu relève de ce paradoxe d’inconnaissabilité connaissable qu’est la révélation à l’intuition spirituelle, travaillée du mystère de l’Être. Les catégories discursives de gnosticisme et d’agnosticisme tombent d’elles-mêmes en son univers d’extra-logos. Car le logos n’est jamais que préambule pour inciter à la curiosité intuitionnelle de l’Esprit qu’est l’Homme qui doit s’éveiller à lui-même, dans une expérience intérieure transcendante et rencontrer l’Esprit originaire qu’est Dieu. Ainsi, la foi constitue le sensualisme spirituel où, au fil de sa révélation permanente à l’entendement intuitif du chrétien, Dieu dévoile ses faciès et prend tous les noms appropriés à sa manifestation multiple en tant que Tout qui se relativise dans le multiple des situations humaines par sa proximité aimante, sa disponibilité paternelle.
Dans le Christianisme, l’acte créateur du fait d’être est la Parole, le Verbe qui n’est autre que le Fils Éternel, le Christ incarné en Jésus, à ce que l’Évangile appelle la plénitude des temps. Donc cette Parole est la clé de la Vérité divine révélée par l’acte de Création. Ici, force est de constater que la foi est empirie mystique et méditative, quoique métempirie au stade sensoriel, qui permet au chrétien de vivre l’humanisme divin qu’est le christianisme. Humanisme, car le Christianisme est la première religion anthropocentrique de l’Histoire où le Christ, Sauveur, Lien Vivant entre Dieu et l’Homme, se nomme Lui-même Fils de l’Homme. D’où pour le croyant, tous les noms de l’origine première et de la fondation des essences d’être, de l’ubiquité de l’omniscience et de l’omnipotence, sont ceux de Dieu. Providence, Père, Ineffable, Magnifique, Créateur, Omniprésent, Omnipotent, Omniscient, Très-Bon, Très-haut, Éternel font pour l’essentiel partie de cette nomination translinguistique de l’Être Suprême.
Pour connaître Dieu, au-delà des limites du discours, Lui qui toujours déjouera les vanités de l’esprit voulant savoir par les méthodes humaines, il faut se placer dans le contexte de Dieu qui se révèle à notre humilité croyante aimante et sentimentale, contournant nos limites gnosiques et intellectuelles, pour Le connaître au-delà d’un simple nom.
Le fidéohumanisme du Christ nous conduit à une fidéorationalité ni fidéiste ni rationaliste nous permettant de vivre la présence de Dieu en-deçà et au-delà des prescriptions gnomiques de la loi qui doit être toujours la servante dont l’Homme réel dans son contexte est le Maître, tout comme l’Homme doit toujours primer les systèmes, les institutions sociales et leurs structures existant pour le servir et non l’asservir… La loi et ses commandements, l’Écriture et ses préceptes sont faits pour l’Homme et non l’Homme pour eux. Et, en dehors des commandements régissant les rapports de l’Homme avec Dieu et la Nature de l’Homme, les deux étant immuables, tout ce qui régit les relations sociales donc interhumaines et humano-structurelles, est amovible. Cela ouvre la voie à l’union de DIEU avec l’Homme réhabilité devenu ainsi Fils de Dieu, cohéritier de Jésus selon la vocation originelle d'Adam, c'est-à-dire de l'homme tel que conçu par Dieu pour évoluer dans l’esprit.
Ainsi, au nom de ce Dieu et de son Christ selon l’action du Paraclet nous élevant au-dessus de la poussière charnelle, nous pouvons choisir la gloire éternelle. Celle que le chrétien accueillant le sacrifice expiatoire et propitiatoire du Sauveur, vit sans dolorisme considérant que la mort du Fils ne fut qu’une parenthèse vite refermée par la Résurrection et que le Fils Vivant Intronisé et Régnant, est le Christ Éternel du Père Éternel.
Je dis Père car le Verbe Incarné, Jésus, nous le dévoile expressément comme tel. Père est l’appellation éminemment prédominante de Dieu pour les siens. Le nom de Yahweh (Je Suis), nom de Celui qui s’est Lui-même désigné comme tel, dans sa proximité acquise avec et par la Créature humaine en Jésus le Rédempteur, est celui tout simple celui de PÈRE.
Du Jésus iconoclaste qui nous dit de délaisser la weltanschauung de nos pères et mères pour adopter le Père céleste, du Jésus qui, chose choquante et tellement édifiante, dit à l’appelé voulant vivre le deuil de son père mort, « laisse ces morts ensevelir leur mort, toi, suis-moi et tu auras la vie », l’excellence du nom de Dieu dont l’amour infini élabora le plan de rédemption et a ensuite livré le Fils à la mort de la croix pour que, comme le dit Jean l’apôtre, « nous soyons appelés enfants de Dieu », le nom de PÈRE « ABBA » en araméen est comme le voile intemporel du mystère qui se déchire sur la Face enfin dévoilée de Dieu par la révélation et l’adoption. Mais attention, tout anthropomorphisme est ici interdit. D’ailleurs, le nom de père attribué à des géniteurs est plutôt un théomorphisme nominal inapproprié, d’où le Christ qui appelait Femme, sa mère, n’a jamais prononcé les noms de père et de mère pour quiconque d’entre les humains, lui qui recommande de n’appeler personne père ici-bas... Le « père » humain, imparfait, au plan métaphysique, ne peut être qu’un bon nourricier si vraiment il a trouvé la route de sa propre entéléchie non comme modèle mais comme dispensateur de bons exemples. Mais hélas dans l’écrasante majorité des cas, nous savons que le père est le pire ennemi de l’esprit, le tueur des horizons humains, exterminateur du devenir-esprit et de tous les possibles supérieurs du sujet humain qu’est l’individu en croissance, lequel, dans la majorité des cas, doit se dissocier radicalement de ses parents sinon ratera son humanité, demeurant mortellement individu, spirituellement mort dans l’animalité du charnel psychologique et les cloaques mondains des travers sociaux sans jamais se transcender pour devenir personne humaine plénière. Le père-géniteur est malheureusement, auprès de l’enfant, trop souvent corrupteur dans son statut de répétiteur reproducteur des horreurs du monde social, monde que le Christ nous demande de haïr. Père, titre exigeant pour des humains qui ne sont la plupart du temps que de simples géniteurs! Père, titre si fréquemment galvaudé par plusieurs qui ne sont souvent qu’une caricature tyrannique qui fait dévier le sens de la paternité divine, trahissant indignement la Vérité de Dieu, le seul PÈRE de ceux qui répondent à la Filialité spirituelle et mystique offerte en Christ.
Pour l’heure, avant la nouvelle vie à venir ici-bas par la parousie christique, les élus s’étant reconnus esprits incarnés assumant leur vérité d’Esprit, et non simples individus, vivent la victoire pressentie dans leur combat contre le mal, cet Armageddon que chaque Esprit chrétien doit traverser dans sa vie en victorieux, parce que combat entre le Bien et le Mal sur cette terre de mérite et de démérite. Car le mal n’existe pas sur le plan cosmique supraterrestre sinon ce serait accuser Dieu. Le mal est tout simplement donné à l’Homme pour se faire valoir Vainqueur en méritant et s’appropriant spirituellement la victoire et la vie en le paradoxe de Jésus, le Bien parfait, qui nous affirme avoir vaincu le monde. Entre l’amour du monde-humanité comme communauté des potentiels élus acceptant l'appel à la rédemption offerte - monde des esprits que Dieu a tant aimé, qu’il a donné son Fils unique pour son salut - et le monde-système-et-weltanschauung du très grand nombre que Dieu hait et nous invite à haïr, seule l’invocation du nom de Dieu, Yahweh, sauvera l’Esprit de la confusion. Seul le Père, nom affectif et de proximité de ce Heloï à la fois Tout Autre et Tout Semblable, nom que Jésus invoque expressément dans le prototype de la prière dite dominicale (le Notre Père). Oui, seul Dieu, Père et Amour, protège l’Homme de la mort spirituelle et de la damnation mondaine tellement imminente en le faisant prévivre par sa puissance supramondaine, l’excellence vivifiante du nom de Dieu, bref, le nom du Père enfin justifié et consciemment assumé par l’Homme loin des prétendues failles inconscientes que certains psychanalystes loufoques imaginent du rapport au père chez le sujet humain.
Que ceux qui croient et invoquent Dieu en esprit et en vérité se réjouissent, car ce Dieu Créateur de la globalité humaine d'esprit d'âme et de corps que Christ révèle comme Père, est vraiment, par delà tous les noms de ses attributs innombrables et infinis, le Père-esprit de l'esprit qu'est l'homme intérieur, hypostase immatérielle que Dieu a tirée de sa propre essence divine, la faisant ainsi à son image!
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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