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Par Camille Loty Malebranche

  

Il est des mots apparemment simples mais de fait, à fonction conceptuelle complexe, dont la sémantique varie au gré de leurs protagonistes. Des mots qui, souvent, servent de stratégie d’imposition du sens. Des formes de désignations signifiantes qui désarçonnent leurs auditeurs et lecteurs les mettant à la merci des conceptualisateurs et nominateurs par leur charge contextuelle savamment orchestrée.

Il me vient ici le mot guerrier et son emploi en demi-teinte et demi-vérité par Clastres qui disait « il est fatal que le guerrier soit un voleur »! En fait, on peut y constater un manque de spéciation sémantique et, nous, nous disons que ce peut être tout autant vrai que faux selon les occurrences. En effet, c’est la conquête qui est vol et donc le guerrier conquérant qui est un pillard avec sa logique de prédation voilée, édulcorée sous le vocable de « butin de guerre ». Ainsi, Clastres a tort sur le guerrier de défense avec son armée défensive et sa violence protectrice ou libératrice faisant la bonne guerre.  Il est inéluctable que le conquérant, pas nécessairement le guerrier - nous venons de le voir -, soit un voleur, telle est la vérité. Dans la factualité des choses, le sens des mots change selon les référents surtout quand il s’agit de lemme de condition ou d’action que le jugement logico-moral doit strier à la lanterne de leur factualité mise en acte, leur actuation.


Un autre mot beaucoup plus pacifique m’interpelle ces temps-ci, la solitude. Il est en fait une pluralité de solitudes! Je me suis rendu compte qu’il y a au moins sept types de solitudes : 1)la solitude de proximité ou spatiale provenant de l’éloignement physique de ceux qu’on aime; 2)la solitude d’incommunication qui est duelle car pouvant être une conséquence de l’incompréhension par inaptitude de l’autrui incapable de se mettre au niveau de l’échange souhaité, ou dans certains cas, où je l’appelle "solitude d’amuïssement", puisqu’elle émane soit du silence du complexé d’infériorité soit de l’indifférence de l’imbécile qui feint sottement l’arrogance de dédaigner tout ce qu’il ne comprend pas; 3)la solitude d'isolement, solitude induite par la froideur sociale, la cruelle claustration des ombres en horde d’un ordre socioéconomique peuplant le monde de son encanaillement; 4)la solitude de déréliction qui, elle, tient du champ psychique lequel pouvant se manifester sous forme de repli sur soi métaphysique ou sentimental et renvoie au complexe d’abandon dit "de Caïn" par Piaget; 5)la solitude volontaire de tranquillité, solitude temporaire douce et harmonieuse car choisie par besoin de distanciation méditative ou créatrice; 6)la solitude non vraiment choisie mais considérée préférable à la bassesse de certaines fréquentations indésirables qui sont bien plus ennuyeuses et, parfois, font beaucoup plus de mal que la solitude elle-même; 7)la solitude sentimentale érotique où les qualités espérées chez le ou la partenaire en amour, est inexistante, ce qui réduit même les échanges charnels en défoulements physiques sans satisfaction sentimentale, sans partage vrai, un vide égoïste à deux, une singerie formaliste de l'éros pour assouvir ses besoins, sans rassasier sa faim de véritable rencontre, sans désaltérer sa soif d'une véritable complicité, sans arriver à la grande extase car les orgasmes eux-mêmes sont sans le ravissement du cœur ébloui par delà la fougue mécanique des corps qui s'assouvissent. 

Quant aux mots-phares de la politique, ils sont pleins de hachures d’acceptions idéologiques et leur vérité se perd souvent dans les conjectures partisanes façonnées par des idéologues. Quand je dis mots-phares, je vois ces mots incontournables dans le jargon étatico-politique tels : démocratie, peuple, liberté, justice… 

Si nous prenons le cas de la démocratie, il est aisé de constater que ce mot constitue un fourre-tout idéologique où les authentiques comme les malfrats de la scène politique jouent des essences ou des apparences pour dire vrai ou faire semblant. Cela explique pourquoi, il est tant de prédications de ce substantif pris d’assaut par les systèmes étatiques et les partis politiques qui le prédiquent en tout sens et l’instrumentalisent à toutes fins. Démocratie bourgeoise ou ploutocratie plus ou moins permissive, ironie de l’essence étymologique même du mot. Démocratie populaire, renforcement pour se distinguer de l’ironie bourgeoise, ce qui n’est guère garant des principes globaux de la démocratie. Et entre ces deux pôles, une multitude nominatoire selon les différents partis de l’échiquier politique.

Il en va de même pour le lemme liberté. Ainsi que je l’ai déjà soutenu, la liberté du légaliste est antagonique à celle de l’anarchiste; tout comme la liberté donjuanesque est antinomique à celle du romantique fidèle en amour.

Nous savons que le mot « droit » peut servir autant pour indiquer l’équité, la liberté que l’injustice, la tyrannie des pires dictatures…

Le mot peuple et sa vérité

Quant au mot peuple, il est aujourd’hui la cible d’une grande offensive de désignification sémantique qu’il faille dénoncer. De nombreux manipulateurs, intellos de foire, prétendent même que le « peuple n’existe pas » et que ce mot ne veut rien dire. Un laïus pseudo-conceptuel pour qui l’ambiguïté ou la polysémie équivaut à l’inexistence. Un factice discours plein de lubie réactionnaire qui oublie la vérité contextuelle de ce que l’on nomme peuple dans le rapport de pouvoir au sein d’un État où la société connaît le règne d’une classe de pouvoir. Le peuple est effectivité, fait, avant d’être concept ou matière à conceptualisation. Depuis l’avènement de l’État où le tout de la société unifié fut divisé en classe de pouvoir et peuple sans pouvoir, le peuple fut de fait constitué de la population des gouvernés sans pouvoir décisionnel administratif à la différence de la classe du pouvoir. Là, il faut clairement spécifier que le pouvoir est soit officiel d’État (ici je vois les gouvernants élus et nommés dûment connus pour leur fonction d’administrateur d’État), soit d’économie avec la puissante influence politique d’une poignée de riches déterminant les choix économiques et sociaux voire tout le système socioéconomique de l’État et son orientation politique: nous désignons ici les grands centres financiers, industriels, commerciaux appartenant aux quelques grandes familles formant l’oligarchie encore appelée establishment. Le petit radoteur qui prétendrait que les Rothschild, les Morgan, les Rockefeller et autres semblables ou supplétifs dans les pays sont le peuple, ne tromperait que lui-même par excès de conceptualisation et vice de regard théorique. 

La classe du pouvoir, c’est l’incarnation de l’État et, malheureusement, dans la plupart des cas, il est obvie que le peuple, lui, ne fait que subir les choix de cette classe dans un contexte de ploutocratie attifée des ornements de la démocratie formelle. Force est de remarquer que dans certaines occurrences soi disant socialistes mais de fait stalinistes, la nomenklatura a eu peu ou prou cette même fonction anti-peuple, malgré tous les appels farfelus au peuple et à la démocratie soi disant populaire. Il est néanmoins une immutabilité de sens des mots par contexte attesté. Le peuple au sens de nation comme totalité indifférenciée des membres de la société nest pas le peuple évoqué comme ensemble des gouvernés sans le pouvoir étatique décisionnel dont disposent les gouvernants et toute la classe du pouvoir. 

La nomination et le pouvoir 

La prérogative nominatrice, le privilège de nommer, de définir et donc de contrôler la perception projetée des choses et d’en établir le sens dans les conceptions collectives, est une aspiration et une initiative fondamentales de tout pouvoir, car il s’agit toujours d’accaparer le monde en le nommant. Comme je l’ai ailleurs expliqué, l’un des premiers actes de tout esclavagiste, c’est de renommer l’esclave et la voie inhérente au colonialiste, à l’impérialiste ou à tout prédateur d’État, c’est de sinon renommer leur conquête, à tout le moins de le requalifier en l’adjectivant selon la signification qu’ils lui impriment. Les mots de l’action politique ou sociale, sont des schèmes de pouvoir s’exprimant par le langage pour imprégner les consciences. Le nom dicté est une fonction forte du sceptre de la domination. La ruse sémantique tient toujours lieu d’acte de puissance, de stratégie de pouvoir.


CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

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Tag(s) : #Monde du Concept
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