PAR MICHEL-ANGE MOMPLAISIR
Au cours de l’ère tertiaire, encore appelée le Cénozoïque, d’une durée de 70 millions d’années, des extinctions de masse ont affecté les mammifères. Des proboscidiens, comme le mastodonte et le dinothérium (du grec deinos, terrible, et thérion, animal), cessèrent d’exister.
En Afrique, nos ancêtres sur le plan phylogénique, les australopithèques (du grec australis, méridional, et pithêcos, singe) n’ont pas survécu.
Les extinctions de masse du Cénozoïque sont attribuées à la non-adaptabilité des espèces aux conditions écologiques. L’Homo ergaster, encore appelé l’homme archaïque, à cause de ses capacités pour la marche sur de très longues distances et la chasse au gros gibier, a pu échapper à l’extinction en se déplaçant de son cadre originel.
Au cours de l’ère quaternaire, notre ère, commencée il y a 2,5 millions d’années, des mammifères comme les mammouths furent décimés par la chasse outrancière livrée par l’homme en dépit de leur résistance accrue à l’épisode froid du Dryas. Cet épisode survint il y a 10 500 ans. Il doit son nom à une rosacée, le Dryas octopetala, adaptée aux températures très froides. Le Néandertalien, première version de l’Homo sapiens, disparut aussi, il y a 30 000 ans. Une constellation de trois (3) facteurs a joué contre lui :
1. - Son isolement en Europe et au Proche-Orient
2. -L’absence de métissage avec son contemporain, l’Homme moderne, dont nous faisons partie, ou Homo Sapiens sapiens. Les rigoureuses études d’ADN l’ont clairement prouvé.
3. - Son inadaptabilité à la civilisation/culture développée par l’Homo Sapiens sapiens, la civilisation/culture aurignacienne, ainsi appelée eu égard au prototype archéologique découvert à Aurignac, en Haute-Garonne (France).
Sous l’influence de ces trois facteurs combinés, son génome se dissipa. C’est ce qu’on appelle en termes plus techniques une dérive génétique.
Le cas de l’Homme de Ngandong est identique au précédent. L’Homme de Ngandong est à l’Indonésie, la Malaisie et l’Australie, ce que le Néandertalien est à l’Europe et au Proche-Orient. Il disparut par dérive génétique.
Quel est le rôle des extinctions de masse ?
Elles stimulent l’évolution biologique par des redéploiements et des reconquêtes de milieux devenus inhospitaliers après la crise. Ces ruptures dans le continuum évolutif favorisent l’accélération et l’installation de nouveautés. Mais, tenez-vous bien, elles ne sont nullement le moteur de l’évolution. Tout porte à croire que les dinosaures s’acheminaient vers leur fin, dans une perspective darwinienne de sélection naturelle des espèces évolutives les plus aptes. La crise d’extinction du Secondaire, il y a 65 millions d’années, ne fit que précipiter l’élimination d’une espèce encombrante.
La longue route de la vie est jalonnée de morts, des morts utiles. Balzac, dans « La peau de chagrin », l’a bien exprimé :
« En découvrant de tranche en tranche, de couche en couche, sous les carrières de Montmartre ou dans les schistes de l’Oural, les animaux dont les dépouilles fossilisées appartiennent à des civilisations antédiluviennes, l’âme est effrayée d’entrevoir des milliards d’années, des millions de peuples, que la faible mémoire humaine, que l’indestructible tradition divine ont oubliés et dont la cendre entassée à la surface de notre Globe, y forme les deux pieds de terre qui nous donnent du pain et des fleurs…»
Pour finir deux remarques.
La première : contrairement à l’évolution animale, l’évolution végétale n’a guère connu d’extinction en masse. Voilà pourquoi, à cause des coupures dans son continuum, le parcours de l’évolution animale s’est fait selon une ligne sinueuse. Cette ligne comporte des progressions et des reculs, des va-et-vient continus que l’on compare à un « vagabondage aléatoire. »
Ainsi, tandis que les dinosaures ont été exclus de la scène évolutive, il y a 65 millions d’années, celle-ci a repris à partir de formes de vie plus simples. Un animal sans faste, un petit reptile mammalien ou thérapsidé, fut le héraut de l’arrivée des mammifères. L’évolution animale peut aussi se réactiver à partir de la réapparition de formes modestes que l’on croyait éteintes. C’est ce qu’on appelle « les groupes ou taxons Lazare ». Une telle dénomination évoque le souvenir du célèbre ressuscité.
L’erre de l’évolution végétale a été beaucoup plus rapide et s’est faite en ligne droite. L’évolution végétale est à son apogée avec l’apparition des plantes à fleurs, qui déjà coloraient le paysage de l’ère tertiaire.
La deuxième remarque : alors que dans l’Univers, les systèmes physiques obéissent au second principe de la thermodynamique de Carnot, la dégradation de l’énergie ou entropie, les systèmes biologiques échappent à cette loi. Par des complexités croissantes, l’inversion de cette entropie ou néguentropie a permis d’assurer la propagation et l’évolution de la vie. N’est-ce pas ce qui s’est passé depuis les premières formes biologiques, les archéobactéries des abysses océaniques, à l’aube brumeuse des ères géologiques, il y a 3.8 milliards d’années, jusqu’aux hommes actuels que nous sommes, au moment où j’écris ces lignes.
Même si la longue histoire de l’évolution biologique, sous sa version animale, est semée de morts, la vie demeure toujours plus forte, plus disponible, plus jaillissante. La vie triomphe toujours de la mort. Pour reprendre Roger Martin du Gard : « La vie, c’est la victoire qui dure. »