Le « Notre Père », modalités christiques d’une prière pour l’ecclésia.

Par Camille Loty Malebranche 

Mathieu 6 v13 

Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal. Car à Toi seul, sont le règne, la puissance et la gloire aux siècles des siècles.

Dans sa formulation de la prière-type des implorations indispensables à la créature humaine, tout à la fin, après avoir esquissé les différentes étapes de demandes nécessaires au Père pour la quotidienneté de l’homme; après avoir signifié le primat de la sanctification du nom de Dieu, la primauté de la volonté de Dieu sur celle de l’homme, la nourriture tant spirituelle que somatique, Jésus enseigne aux siens à réclamer du Père la victoire sur les tentations et le mal qu’elles sous-tendent. Là, le Verbe incarné nous indique que nous sommes constamment sollicités autant par nos propres pulsions, par les situations de notre milieu ambiant que par les forces intangibles de la suggestion en ce monde où sévit le malin tentateur. Toutes ces puissances tentatrices ont un effet d’affect qui nous pousse à répondre à leur sollicitation consciente ou inconsciente parfois imparable sans le soutien spécial du Père. Prier comme le recommande le Christ, est donc aussi se pourvoir de l’omnipotence divine pour ne pas être tenté au mal, étant prémuni inexpugnablement par l'Amour divin, protégé par la Tout-puissance divine selon la grâce paternelle de Dieu, nous garantissant le Bien total de sa présence, nous préservant du mal sous toutes ses formes, démasquant et détruisant le piège du péché qu'est la tentation que voudrait nous tendre le malin. Là, par la Grâce de Dieu, le malin et sa malignité disparaissent de la vie voire des horizons de l'homme de foi.

Prier selon la modalité de la prière christique, c’est pour l’homme être éveillé à l’esprit qu’il est et qui vit sa vérité intérieure dont il devient pleinement conscient, c’est contourner les diversions extérieures qui nous décentrent de notre nature véritable, c’est apprendre à être disponible pour recevoir le Paraclet et se faire hôte digne du Dieu que les anges adorent avec révérence. C’est donc pour être avec le Dieu infini et absolu en qui est le Bien total, que le Christ nous demande à la fin de sa formulation de prière, de nous sanctifier nous-mêmes, car vaincre la tentation sous toutes ses formes, c’est devenir saint et apte à vivre l’intimité de Dieu par son Paraclet en nous. 

Pour clore cette quatrième partie du Notre Père, je dois préciser ici, que la tentation, au sens strict et absolu, est exactement le contraire de l’inspiration, la face négative de la bonne motivation.  

La tentation est l’espace du charnel psychologique car sans trouver une forme d’adhésion mentale en nous, nulle tentation ne peut nous déterminer à faire le mal. La tentation est diverse: charnelle, métaphysique, morale, logico-rationnelle…

La tentation charnelle tient du laisser-aller aux sens et à leurs pulsions. C’est un soubassement de nombreuses servitudes, car c’est par  la complaisance aux jouissances pulsionnelles par refus de se poser des balises, que l’homme devient la chose de ses tentations. L’intempérance et la quête jouissive des pulsions ne se contrôle, la plupart du temps, que par la prévention attentive. Prévenir l’occasion de leur surgissement, est une armure et une arme de la victoire contre les penchants au mal car la prévention nous permet en quelque sorte de repousser l’antichambre de la tentation.

Métaphysique, la tentation est la propension au rapport non spirituel et impie à l’être et à soi; rapport qui se veut séculier et indifférentiste, rapport qui n’a que faire de la nature spirituelle de l’homme.  

Morale, la tentation se décline par la volonté de vivre sans tenir compte des principes qui s’imposent comme voie spirituelle de l’accomplissement de l’homme. Tentation morale, transport de l’orgueil vers le désir de s’assumer selon les seules lois que l’on se donne en niant tout sens transcendant de l’action! C’est aussi la fuite de l’épreuve par des voies indignes, la poursuite de la réussite sans autre scrupule que la renommée sociale. Car là, l’homme se proclamant seul, croit devoir se débrouiller de n’importe quelle manière pour aboutir à ses fins dans le seul monde ici-bas qu’il reconnaît comme existant.

La tentation logico-rationnelle, quant à elle, prend forme dans l’essor de la rationalité et de l’orgueil de l’intelligence blessée face au transcendant, qui argue de toutes raisons pour refuser de croire.

Prendre conscience de l’esprit qui peut transcender la multitude des bas-fonds du charnel et du mondain, puis cultiver les motivations au bien pour sublimer les pulsions et rationalités déviantes, et enfin, se mettre mentalement en présence de Dieu par la prière de la foi, voilà la puissance pour prévenir les contextes mauvais de l’appel fort des sens et du charnel psychologique, la force intérieure pour vaincre le déchaînement puissant de nos faiblesses. Être fort par la foi et la grâce divine malgré nos faiblesses, est un pari de l’esprit conscient de soi et de sa déité garante de toutes les transcendances, de toutes les victoires.  

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

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