Par Louis Denghien avec Cécilia, le 28 octobre 2012
Kurdes à Qamichli, dans le nord-est de la Syrie : les militants kurdes tentaient de tenir à égale distance l’armée syrienne et l’ASL, mais depuis les incidents d’Achrafyeh, les
hostilités sont ouvertes avec la rébellion islamiste
De tous les incidents ayant marqué le début de la trêve théorique de l’Aïd al-Adha, vendredi ceux intervenus dans le quartier nord d’Alep d’Achrafyeh sont les plus lourds de conséquence et les
plus commentés par les médias mainstream depuis 48 heures. Rappelons que de violents combats ont éclaté dans ce quartier à forte implantation kurde, vendredi, entre les
miliciens du parti kurde syrien PYD et un groupe de deux cents combattants ASL. Jusqu’à présent Achrafyeh était resté à l’écart des combats, l’armée en laissant le contrôle aux Kurdes et
l’ASL « évitant » le quartier.
Les combats sont intervenus aux premières heures de vendredi quand les ASL ont attaqué les barrages tenus par les miliciens kurdes à l’entrée du quartier. Selon des médias occidentaux comme
l’AFP et RFI, tout a commencé quand un groupe de l’ASL a fait cinq victimes en tirant sur des manifestants rassemblés pour leur demander de quitter ce
quartier calme qu’ils tentaient d’investir.
Mercredi, les bandes insurgées avaient lancé des attaques contre quatre quartiers de la ville : Sabil , Jalaa, Syriane et Achrafyeh. elles ont été délogées des trois premiers par les forces
gouvernementales. L’AFP s’est quant à elle contentée de mentionner le cas de Syriane, évoquant des positions militaires attaquées. Citant des habitants et une source militaire,
l’agence française assure que des rebelles ont tenté de prendre une position militaire dans le quartier Syrian, mais ont été repoussés. Ils ont tiré deux obus, l’un a touché un immeuble et le
second est tombé à proximité de l’Hôpital français, tenu par l’armée.
16 ASL au moins tués par les miliciens kurdes
Selon le site pro-gouvernemental Arab-Press, 16 insurgés ont été tués et une trentaine d’autres blessés dans les combats qui s’en sont suivis. Ils appartiendraient au front
al-Nosrat (Jabhat-Nusrat, djihadiste), et aux brigades Tawhid et Salaheddine (à peine moins fondamentalistes). Arab-Press cite les noms de dix d’entre eux (originaires de
Afrine, Idleb, Haritane et Hayyane). Alors que six d’entre eux n’ont pas été identifiés. Les comités de coordination (groupes d’opposition qui distribuent leur version des faits aux agences
arabes et internationales) ont pour leur part présenté ces tués comme étant des civils, dont cinq d’entre eux seraient originaires de Haritane (ou Hreytane, à quelques kilomètres au nord-ouest
d’Alep)..
Et voici la liste des tués vendredi à al-Achrafyeh :
1- Rabi3 Jamal Haddad, originaire dIdleb
2- Jamal Haddad, d’Idleb
3- Mustafa Marouch, originaire de Haritan
4- Mahmoud Zaki, Haritan
5- Ali Omar Majri de Hayan
6- Walid Samir Masri de Haritan
7- Mohammad Zaki, Haritan
8- Ahmad Samir Masri de Haritan
9- Said Arab de Haritan, habitant al-Achrafyeh
10- Hussam Subhi Bilal d’Ifrin
Les six autres n’ont pu être identifiés.
Casus Belli
Mais des Kurdes ont été également tués dans ces combats, et beaucoup ont été enlevés par des membres de l’ASL. Selon l’OSDH, 30 personnes – arabes et kurdes – ont péri, et plus de 200 ont
été enlevées, en grande majorité des Kurdes (seul 20 rebelles auraient été capturés par le PYD, selon l’OSDH). C’est donc un casus belli d’une ampleur sans
précédent entre la communauté kurde syrienne et l’ASL, même si, depuis cette année,, des heurts sanglants ont déjà opposé, dans le secteur frontalier avec la Turquie, miliciens du PYD et rebelles
islamistes (voir notamment notre article « L’ASL du secteur d’Alep en petite forme » mis en ligne le 17 juillet 2012). Et Rami Abdel Rahmane, président de
l’OSDH et propagandiste n°1 de la « révolution syrienne » ne s’y est pas trompé qui exprimait samedi son inquiétude à l’AFP : « Nous lançons un
avertissement sur les conséquences possibles de tels heurts », a-t-il déclaré, estimant que de tels combats bénéficiaient au régime du président Bachar al-Assad.
On notera que Radio France International parle, à propos d’Achrafyeh, d’une première attaque de l’armée syrienne contre le quartier qui aurait fait une quinzaine de victimes,
attaque qui aurait eu lieu jeudi : mais on n’est sûr ni de la réalité de l’attaque, ni du nombre et du statut des victimes – rebelles ASL et soldats ? Cette histoire sert en tout cas à entretenir
l’idée qu’à Alep les forces gouvernementales sont considérées par les membres du PYD comme des ennemis au même titre que les islamistes, ce qui n’est pas observé depuis le début des combats à
Alep.
Quoiqu’il en soit, c’est la confrontation PYD/ASL qui a marqué tous les esprits, journalistes et Kurdes. Comme l’écrit le correspondant de RFI, « la
population kurde, qui tente de rester en marge du conflit, est sous le choc« . Dans un communiqué, l’Unité de défense populaire, la milice kurde d’Achrafyeh, dit avoir utilisé
son droit à la légitime défense et prévient qu’Achrafiyeh, comme le quartier voisin de Shah Maksoud, sont et resteront sous son contrôle exclusif. « Le terrorisme meurtrier venu du
désert a causé la mort de cinq manifestants et blessé des dizaines dans notre quartier », a accusé pour sa part Hivine, une habitante du quartier Achrafyeh qu’elle a quitté pour se réfugier
dans celui, voisin et à majorité kurde, de Cheikh Maksoud depuis que les miliciens l’ont attaqué le mercredi dernier, en ont chassé les habitants et se sont retranchés dans ses bâtiments. Et
d’ajouter : « Nous ne voulons pas de miliciens à Cheikh Maqsoud. C’est une révolution pour la liberté ou alors du terrorisme takfiri obscurantiste ? Nous les Kurdes ne sommes pas
impliqués dans cette guerre, pourquoi se mettent-ils à nous tuer s’ils sont une révolution pour la liberté ? » Rodine Azadi, une Syrienne d’origine kurde habitant elle aussi Achrafyeh
raconte : « Les hommes armés nous ont obligés à quitter nos maisons pour les transformer en bases pour eux, pour que l’aviation militaire vienne les bombarder ». Et d’ajouter:
« Je suis devenue hostile à la révolution parce qu’elle n’assure pas la liberté, mais voudrait detruire le pays. nous demandons à l’armée de les écraser par tous les moyens, parce
que nous voulons retourner à nos maisons ou ce qui en reste ».
Selon certaines informations récentes, l’ASL serait toujours présente à Achrafyeh et le PYD et des comités de quartier seraient en train de négocier pour obtenir le retrait des islamistes
d’al-Nosra et de la brigade Tawhid. Des miliciens kurdes auraient attaqué un barrage ASL à Kafr Janneh, capturant sept miliciens rebelles.
Et ce dimanche, une grande manifestation doit se tenir ce dimanche 28 octobre à Kamishli, principale ville du Kurdistan autonome syrien, sur la frontière et dans la pointe nord-est du territoire
syrien, en hommage aux 20 victimes – désignées comme civiles par les Kurdes – des attaques d’Achrafiyeh. On verra quels slogans seront criés dans cette manifestation. Mais on
comprend qu’un Rami Abdel Rahmane s’inquiète à haute voix des conséquences politico-militaires des incidents d’Achrafyeh : si le PYD passe de l’hostilité passive à l’engagement actif contre
l’ASL, celle-ci a du souci supplémentaire à se faire. Il faudra voir comment le gouvernement et l’armée syriens gèrent ce dossier : jusqu’à présent, Bachar a su obtenir la neutralité
plutôt bienveillante de milices kurdes de Syrie, leur délégant la surveillance de larges segments de sa frontière avec la Turquie. Et jusqu’à présent, il en allait des zones contrôlées par le PYD
dans cette région frontalière comme des quartiers d’Achrafyeh et de Cheik Maqsoud à Alep : les rebelles ne s’y risquaient guère. Ce fragile statu-quo vient
d’être bousculé à Achrafyeh.