Le dramaturge Jean Giraudoux
Lors du colloque sur la Production
scientifique et les espaces linguistiques, dont j’ai déjà parlé, un professeur congolais de l’Université Laval, m’avait beaucoup inspiré en citant Jean Giraudoux qui écrivait dans La
Guerre de Troie n’aura pas lieu :
« Les nations, comme les hommes, meurent d’imperceptibles impolitesses. »
J’en ai parlé dans ma précédente chronique sous l’angle civilisationnel, mais j’y reviens au sens le plus simple du mot politesse : ce qui est lisse. Ce qui m’amène à faire le lien entre la politesse
et l’art de communiquer, qui consiste essentiellement à présenter ses idées de façon lisse.
Plusieurs présentations – notamment celles des professeurs Gail Taillefer (Université de Toulouse), Serge Borg (Université de Franche-Comté) et Gérard Boismenu (Université de Montréal) – nous
ont rappelé à quel point les francophones et en particulier les Français maîtrisent mal les techniques de la communication scientifique. Et pas seulement en anglais puisque les revues
scientifiques en langue française sont rares, ce qui nous indique qu’il a là un bateau que les francophones n’ont pas su prendre dans un passé récent.
Pour le dire simplement, ils ont beaucoup de mal à se conformer à l’impératif d’écrire pour être
compris.
Comme auteur et comme journaliste, j’observe la même chose depuis 20 ans – sans pour autant avoir pu mettre le doigt sur la cause exacte de ce problème. Si j’étais étudiant au doctorat,
j’en ferais mon sujet de thèse.
Du début du XVIIe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les élites francophones, en particulier françaises, se faisaient un point d’honneur d’écrire clairement. Aucune langue n’a
pour nature d’être plus ou moins claire qu’une autre, mais les Français avaient développé une profonde éthique de clarté. Ils ambitionnaient d’écrire pour le monde.
Depuis deux ou trois générations (je ne saurais établir une date exacte), cet esprit s’est émoussé. S’il n’a pas complètement disparu, on observe des carences aux quatre coins du monde
francophone – dans les publications scientifiques, mais cela est aussi évident dans l’ensemble de l’édition.
Un de mes rédacteurs en chef, Jean Paré, disait jadis :
« Les Français s’expriment et les Américains communiquent. »
La formule est lapidaire, mais elle est claire.
Dans mon métier, les exemples sont archinombreux. Les pratiques éditoriales françaises vont souvent à l’encontre de la clarté. Les revues françaises sont dépourvues d’alinéas, qui rendent
lisible la structure des textes. Les livres n’ont pas d’index. Les auteurs écrivent souvent des phrases longues et sinueuses. Les rédacteurs n’osent pas retoucher les textes.
Certains grands esprits (et nombre d’esprits moins grands) s’ingénient également à écrire de façon confuse et inintelligible. Je me rappelle que, étudiant, j’avais été surpris et déçu de
constater à quel point Michel Foucault est illisible en français. Pour comprendre où il voulait en venir, il fallait utiliser la traduction anglaise.
Dans cette logique d’expression, l’auteur s’exprime et c’est au lecteur de construire le sens. Cela peut se défendre s’il s’agit d’expériences littéraires. Mais l’hermétisme est carrément
suicidaire et contreproductif quand il s’agit de communiquer. Qu’un chercheur le fasse, c’est son droit. Quand des cohortes entières écrivent dans cet esprit, c’est un syndrome.
Second exemple : une comparaison des encyclopédies Britannica et Universalis en dit long sur cet esprit différent et ses conséquences. Il est vrai que les articles
d’Universalis sont souvent destinés à des lecteurs plus spécialisés, mais les rédacteurs font peu d’efforts pour simplifier leur langage. Ouvrez les deux encyclopédies à l’article sur
Balzac. Celui de Britannica se divise en trois parties : la vie de Balzac, son oeuvre, le sens de son oeuvre.
L’article d’Universalis, trois fois plus long, ne suit aucune structure claire, son auteur cherche visiblement à s’exprimer.
Résultat : sa logorrhée ne communique rien et le lecteur irrité se tourne vers une autre source.
Cette posture est d’autant plus curieuse qu’elle est antiencyclopédique puisqu’elle ne donne le savoir qu’à ceux qui savent déjà.
Il est heureux que tous les francophones n’adhèrent pas à cet esprit hermétique, mais l’imperceptible impolitesse est là – jusque dans la façon dont on pense
l’écrit.
Lire Imperceptibles impolitesses –
1ère partie
Pour en savoir plus sur l’auteur, www.nadeaubarlow.com
En sciences, je crois, les francophones auraient besoin de la méthode BCD (Bref Concis Directe) ; nous écrivions tellement long que le lecteur Beta se perdrait dans nos idées, pensées…
Que «d’imperceptibles impolitesses! »