Poutine préfère Obama à Romney, Bachar aux islamistes, et conseille aux Occidentaux de se rapprocher de sa position sur la Syrie. Et en plus, il manie assez bien l’ironie anti-américaine….
C’est presque devenu un rituel diplomatique : à la première occasion, les dirigeants russes se rappellent au bon souvenir des Occidentaux sur la Syrie, douchant leurs vagues espérances
d’ »évolution » de Moscou sur le dossier, ou carrément taclant les responsables d’Europe et d’Amérique. La dernière sortie du président Vladimir Poutine ressort
plutôt à la deuxième catégorie : s’exprimant jeudi 6 septembre au cours d’un entretien à la télévision russe, Poutine a dit d’emblée qu’il ne fallait pas s’attendre à un changement de position de
la Russie sur la Syrie : « Pourquoi la Russie devrait-elle réévaluer sa position ? » a-t-il dit. Avant de retourner la proposition – ou le compliment – aux
Occidentaux : « Nos partenaires (occidentaux) dans le processus de négociation devraient peut-être plutôt revoir leur position ».
Emprisonnés à Guantanamo, subventionnés en Syrie…
Car, et le président russe, pas fâché de mettre aux aux Euro-américains le nez dans leurs insolubles contradictions, ou leur constante hypocrisie, l’a dit sans ambages : en Syrie,
les Occidentaux s’appuient sur des gens qui ont pas mal en commun avec les gens d’al-Qaïda qu’ils prétendent combattre ailleurs. « Aujourd’hui, on utilise des combattants d’al-Qaïda ou des
gens d’autres organisations qui partagent ses visées extrémistes pour atteindre leurs objectifs en Syrie. Il s’agit d’une politique très risquée et inconséquente« . Et maniant une
ironie froide mais pleine d’à propos, Poutine a carrément conseillé aux dirigeants américains, histoire d’aller jusqu’au bout de cette inconséquence, d’ »ouvrir les portes de
Guantanamo et laisser tous les détenus aller combattre en Syrie » Car barbus emprisonnés par les Américains dans leur enclave cubaine, ou barbus soutenus par les Américains à Homs ou
Alep, c’est, remarque le n°1 russe, « la même chose ».
Poutine vote Obama
Et puisqu’il en était au rôle néfaste et inconséquent de l’administration américaine, le président russe s’est permis, à propos de la Syrie, une incursion dans la compétition présidentielle.
Après avoir, malgré tout, rendu un hommage appuyé à Barack Obama, une « personne honnête qui cherche vraiment à améliorer les choses« , Poutine s’en est pris à son
rival républicain Mitt Romney, qui, c’est vrai, n’a pas hésité à définir la Russie comme « ennemi géopolitique n°1 des Etats-Unis« . Et, de son point de vue
néo-conservateur, impérialiste illuminé, unipolaire, Romney a certainement raison.
Vladimir Poutine est sûr lui aussi d’avoir raison. Sur la Syrie, devenu le champ de bataille d’une nouvelle guerre tiède à l’échelle de la planète. Mais sur le camp occidental aussi, plus que
jamais à la remorque d’une Amérique pratiquant la manipulation médiatique et diplomatique ainsi que la fuite en avant. Poutine pense que l’avenir lui donnera raison dans cette confrontation, et
qu’un nombre croissant de nations se rallieront à son drapeau, devenu celui de la résistance au nouvel ordre mondial atlanto-yankee.
Le Nouvel Economiste plus proche de Poutine que de Hollande ?
Le pire, ou le plus drôle, c’est que certains en Occident commencent à se demander si justement le dirigeant russe n’a pas raison ! Et pas n’importe qui : ainsi le site du quotidien français
Le Nouvel Economiste, organe naturel des milieux d’affaires, a consacré le 24 août un article à la position russe sur la Syrie. L’auteur, Pascal Lorot, note que la Russie, de
par sa composition religieuse et ethnique, de par sa position historique en Asie centrale, de par les liens qu’avait tissé feue l’URSS avec les régimes arabes dits « progressistes » –
de par son expérience en Afghanistan aussi – connait bien le monde musulman. Et fort de son expérience, la Russie restaurée par Poutine juge le bilan des révolutions arabes
comme globalement négatif : elles ne conduisent pas à la démocratie tant vantée par l’Ouest mais à des régimes islamistes plus ou moins rétrogrades, stipendiés par les monarchie
non moinss rétrogrades du Golfe, et manipulées par les Américains. Oppression des minorités religieuses et des femmes sont de nouveau des objectifs politiques en Libye, en Tunisie et en Egypte.
Et ce sont des autocraties milliardaires comme le Qatar et l’Arabie séoudite qui sont partout à la manoeuvre, y compris en Syrie.
Et c’est cela, plus le chaos et la guerre civile, qui guette la Syrie si le régime al-Assad tombe. C’est pourquoi, « vu de Russie » comme l’écrit Pascal Lorot,
l’Occident est « coupable de cécité » – sinon de duplicité. Et le journaliste français écrit ce que nous écrivons ici depuis des mois, sur le soutien occidental à des
groupes de fanatiques qui travaillent, non pas à la construction d’une démocratie citoyenne, mais à celle d’un « grand espace sunnite-islamiste, mais aussi
anti-chiite ».
Et Lorot de conclure logiquement : « Au final, la position de la Russie n’a rien d’un entêtement de principe, ni ne s’inscrit dans des relents de guerre froide comme ont pu
l’accréditer certaines déclarations récentes de dirigeants politiques français. Elle est au contraire raisonnée et réfléchie. » Et la
dernière phrase de cet article d’un grand journal économique français est une pertinente question : « Et si Poutine avait raison ?«