Par Camille Loty Malebranche
La différence entre ontologie et métaphysique tient en ce que l’ontologie est étude de l’être en général alors que la métaphysique est l’étude de l’homme dans son rapport à l’être.
L’ontologie cosmique, la cosmologie philosophique, mystique ou astrophysique peut étudier l’univers d’avant l’avènement de la vie, sa détermination théologique, son sens "divin" ou son "absurdité matérielle" et s'y arrêter selon que les théoriciens soient déterministes ou matérialistes. Mais il n’y a pas d’étude métaphysique sans l’homme, sans anthropologie. On peut avoir, par exemple, une ontologie de l'univers considéré comme l'Être et s'en tenir sans évoquer l'Homme, mais jamais une métaphysique, ce terme qui a fortement évolué depuis sa création par l'aristotélicien Andronicos de Rhodes, au premier siècle avant J.C., pour évoquer les textes "ésotériques" d'Aristote (c'est à dire écrits par le stagirite expressément pour ses disciples les plus avancés), ne pourra se passer de l'évocation de l'Être humain.
La Métaphysique est essentiellement anthropocentrique. Le rapprochement sémantique des mots ontologie et métaphysique fut opéré par Jacob Lorhard au 17ème siècle, qui a probablement été le premier à employer le terme "ontologie" dans son livre " Ogdoas scholastica " publié en 1606, le faisant ainsi entrer comme concept dans l'histoire de la philosophie; puis, les multiples études, notamment celle de Heidegger rompant avec l'"ontothéologie" du Moyen-âge (terme repensé par Heidegger), exigent de repréciser les deux termes en considérant les redéfinitions récentes plus ou moins confuses que le vingtième siècle a donc imprimées à l'Ontologie face à la Métaphysique.
Heidegger et le dualisme être et étant
Heidegger voit l'ontologie comme une sorte de renouveau de la métaphysique étudiant l'être en son sens strict du désigné par l'embrayeur "il y a" pour ensuite opérer l'analyse qu'il appelle "ontique" de l'homme, (l'ontologie stricte de l'être là, "dasein" que constitue l'homme au monde), comme être spécifique. De ce point de vue heideggérien, la conscience percevante, conscience phénoménologique qu'est l'homme, fait de celui-ci "un être formateur de monde" très au delà du simple "être faible des choses ou fort des animaux". Il est à noter que chez l'auteur de "l'Être et le Temps", les dualités "existentiel et existential", "ontologique et ontique" divisent l'homme entre l'être et l'étant. L'être heiddégérien est la grande présence vague du fait d'être auquel renvoie le déictique (il y a), c'est la présence sans substance précise qui se définit par son déploiement dans le temps, sa temporalité; tandis que l'étant est toute présence particulière considérée. L'homme comme (dasein) est un étant différent de tout autre étant, c'est l'être singulier qui est là dans le monde, remis à soi-même, pris en son impuissance et se projetant malgré l'absurde, car c'est quand même l"être des horizons lointains" conscient de sa temporalité existentiale dite "historialité" dans le jargon heideggérien qualifiant ainsi l'histoire étantitaire étant donné que chaque étantité a sa propre histoire sous-tendue par sa propre contingence dans la temporalité et son assumation de ladite temporalité. Le dasein affronte sa condition de mortel comme sens fatal de son existence, car le dasein, pour être "authentique", doit se considérer un "être pour la mort" qui, néanmoins, doit continuer d'exister en assumant l'étant conscient comme "berger de l'être" sans fuir le butoir de sa fatalité. Heidegger est donc le nihiliste chantre radical et excessif d'une ontologie d'absurde et de néant, préconisateur spectral du fatalisme assumé comme culture de la conscience du désespoir et de l'intériorisation du lugubre. Le heideggérisme, à ce compte - par delà le nihilisme classique - aura été une sorte de transposition philosophique sinistre de la loi de la mort qui a sévi pendant la première grande guerre et une préfiguration prémonitoire de l'idéologie thanatomane qu'arboreront les ultérieurs confrères et amis politiques de Heidegger lui-même collaborateur de la Nsdap, les nazis, lesquels s'avèreront des exaltateurs sordides du bellicisme le plus extrême, génocidaires promoteurs de guerre, de destruction mondiale, préconisateurs actifs d'un thanatos politique qui ne voit l'homme que comme "être pour la mort"! Le heideggérisme, malgré toute l'idolâtrie que certains disciples ou admirateurs lui vouent, est connaturel à la weltanschauung générale d'une Europe perdue dans son matérialisme et particulièrement de l'Allemagne exterminatrice et extrémiste des deux guerres mondiales toutes deux en partie déclenchées par l'idéologie allemande de la première moitié du vingtième siècle. Percevoir l'homme comme "être pour la mort" et en faire une maxime philosophique, c'est prôner un nihilisme total qui ne peut ne pas être moral. Pour un nihiliste moral qui vit les ombres glacées du désespoir de l'être pour la mort, il s'agit de combler le vide de l'intervalle par ce qui donne sens au moins au terrestre; et quoi pouvait être plus pimenté chez un nihiliste être pour la mort que l'adhésion à l'idéologie de conquête, la quête de suprématie nationale et raciale!? Heidegger nazi aura donc été congruent, joignant son nihilisme métaphysique à son pendant moral et comportemental de négation de sens transcendant pour un sens immédiat et terrestre que lui a apporté la politique de son pays en son temps.
Le heideggérisme est l'expression philosophique de la déchirure conscientielle d'un certain occident balafré de ses excès matérialistes, désabusé de ses propres aberrations idéologiques où l'homme rendu à son extrême solitude sans Dieu qu'il a abandonné, rumine le foin insipide et absurde de sa déréliction d'une téléologie sans possible entéléchie. L'homme heideggérien n'est point "berger de l'être" qu'il ne saurait faire paître, vu l'absurdité de sa fin perçue en nihiliste, c'est plutôt un déporté vers l'érèbe, un passager damné de charon sur l'achéron sans issue du désespoir et de la non signification sans foi ni Dieu.
Épilogue
Nous préférons ici, quant à nous, loin des scissions imaginaires susdites entre l'être et l'étant c'est-à-dire émanation du fait d'être en général et essence espécielle particulière qu'est l'Homme, considérer la Métaphysique comme étude de l'Homme en tant que présence singulière indéfinissable interrogeant en même temps tous les attributs et situations qui ont une implication existentielle sur son être dont le métaphysicien ne sépare guère l'être et l'étant, concepts évanescents et fictifs puisqu'ils ne procurent guère aucun approfondissement de nos connaissances de la nature humaine; puisque l'étant Homme, l'être humain, dans sa présence au monde, vit son être, son essence comme étantité propre individuelle de l'espèce, à travers le cours particulier de sa vie qui constitue son existence terrestre dans le champ connu de cette existence prise comme fait effectif au niveau tangible. Ce qui n'exclut nullement d'autres champs d'existence ailleurs, hors du tangible!... Il est aussi à préciser ici que l'être consiste en quelque sorte à cette factualité de la présence irréductible que dévoile et incarne l'étant en sa particularité selon la substance étantitaire spécifique.
La métaphysique est donc l'ontologie spécifique de l'homme et de tout ce qui est humain dans l'interrogation du sens de la condition humaine.
Ainsi perçue, la métaphysique constitue une quête herméneutique - soit directement soit via les attributs, facultés, choses, idées, enquêtes scientifiques, révélations théologiques ou mystiques et situations en relation à l'homme et à son évémentialité plurielle, son effectivité spatio-temporelle - des éléments de signification de la présence humaine dans l'univers, signification allant de la généalogie à l'eschatologie de l'humain. La métaphysique authentique - fors la dimension de contemplation méditative - trouve aussi son point d'appui dans la culture, cette expression diverse de la nature humaine à travers le temps et l'espace, qui montre dans et malgré la grande diversité culturelle, l'unicité de l'homme parmi les espèces où l'être humain quelle que soit sa culture se révèle partout comme unique être biologique concepteur et instaurateur d'un sens supra-organique, seul être duel à vivre dans l'organique et le transcendant!
La spiritualité, en son acception stricte, est, quant à elle, le lieu paroxystique de la métaphysique, car l'homme spirituel, finaliste assumé, sait que la vie n'est que voie et moyen de se maintenir dans sa nature immatérielle transcendante, conatus de l'Esprit en route vers son destin, comme part de la destinée espécielle à réaliser par chacun selon son eccéité (c'est à dire son essence unique personnelle) tendue selon son intuition vers le devenir au-delà de la finitude. Car l'homme, sans ancrage spirituel, peut se perdre, et c'est un peu à rappeler sa route à l'Esprit, ce passager immatériel dans le monde sensible, que sert la métaphysique!
Et si comme nous l'avons vu, il n'y a pas de Spiritualité ni de Métaphysique sans une anthropologie généalogique et eschatologique fondamentale, directe ou indirecte, la métaphysique est l'ontologie objective à entreprendre dans l'interrogation du sens de ma présence au monde et aussi l'ontologie subjective avec sa pratique intérieure et extérieure active, que je dois m'efforcer de vivre en tant qu'appels tant intuitifs que révélés parce que spirituels. Ainsi, toute la téléologie qu'est la projection de soi au-delà de l'absurde parce que relevant du mortel et du physique, (ce qui donne au concept de métaphysique, toute sa pertinence) et l'entéléchie qui est l'accomplissement spirituel par la connaissance mystique révélée à l'homme, peuvent s'étendre dans l'évolution de l'Esprit incarné qu'est l'Homme.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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