Reprise de cette ancienne publication du 9 juillet 2009, pour les lecteurs de ce blog
Le sens ontologique, par essence lié à la question des origines et des fins dernières, vu l’au-delà de la raison objective où il s’inscrit, donne autant raison à la foi qu’à l’athéisme. De sorte que toute référence à la raison pour justifier l’athéisme et critiquer la foi, est ratiocination patraque, communication volontairement paradoxale et spécieuse pour berner autrui.
Michel Onfray, sur la chaîne Artv, aura « réinventé » pour cette télévision québécoise, le temps de l’émission Contacts diffusé le mercredi 08 juillet 2009, les concepts de raison, de foi et de liberté devenus ce qu’il convient d’appeler les trois (3) onfrayades par leur développement contre-nature, leur déformation sémantique et logique, logique tronquée voire bâtée dans l’opinion athéiste de l’invité. Opinion au sens strict de ce mot qui évacue l’analyse monstrative ou la critique démonstrative de ce qu’elle évoque et voudrait faire croire à une athéologie discursive. Opinion qui, au regard de la complexité du sens des concepts évoqués, a plutôt l’air d’idiolecte que d’arguments. En vérité, jamais le simplisme athéiste, la galéjade maquillée de discours n’aura été aussi loin dans les confins de la bêtise. Sans doute que par mépris du journaliste intervieweur visiblement sans culture philosophique, l’intervenant du jour a voulu abuser le téléspectateur. Voyons un peu les prétentions meurtrières de la raison (les « onfrayades » comme je les appelle) chez notre philosophe invité.
Chez Onfray, ces concepts sont antithétiques et non réconciliables. Basculant dans la vulgarité d’une doxa primaire et choquante par son irrespect de notre intelligence, l’interviewé qui se veut penseur et guide d’opinion, n’a pas manqué de se fourvoyer tout en dénaturant le sens des choses. Le fait est que, c’est la raison comme élément de l’entendement permettant à l’homme de comprendre logiquement les choses et d’aboutir à une certaine sagesse, qui arrête en quelque sorte son flux devant l’infini et le mystère. De fait, soit par la foi, soit par la proclamation de l’absurde, c’est la raison qui arrête la raison pour ne pas basculer dans l’imposture du rationalisme et du scientisme. De sorte que, il n’y a nul divorce et donc pas de réconciliation ultérieure à postuler puisqu’il s’agit dans ces déraisons apparentes, de raison non raisonneuse où, évitant les déchets du rationalisme et de ses irrationalités, l’esprit se laisse imprégner des intuitions du mystère de l’être par une sorte de prolongement du raisonnement sans la « raison », c’est-à-dire au-delà de la logique et de la discursivité. À moins d’être pitoyablement et désespérément rationaliste, nul ne peut oser dire que la foi, l’affirmation d’un au-delà du tangible et d’un destin humain associé à cette affirmation, « est pathologique » comme le soutient si arrogamment et, disons-le, stupidement Onfray.
De même, sauf les fidéistes peuvent bêtement ignorer que la voie première de la religion - je veux dire du rapport de l’homme à l’infini et avec un Être ou un Principe suprême - n’est pas la raison qui, dans sa quête de sens, a abouti à l’ailleurs de la logique et du démontrable objectif. Et c’est précisément l’absence d’objet qui interdit l’arrogance au nom de la raison. Là où le croyant accepte au départ qu’il va au-delà de la raison, des simplistes gloseurs comme Onfray se croient dans la raison lors même où ils parlent selon leur tendance, leur instinct. Et la pauvreté, le misérabilisme du plat onfrayadien devant quoi l’on refuse même de pignocher et qui donne envie de s’esbigner parce que de carne, de rogatons et d’abats pseudo discursifs, n’aura trouvé d’autres condiments et ingrédients essentiels que le nietzschéisme qui aurait récusé l’arrière-monde que constitue la religion avec sa gestalt d’une dimension supérieure transcendante au monde… Preuve sans équivoque de la mauvaise foi de notre interviewé qui oublie que nul mieux ou pire que Nietzsche n’a intronisé l’arrière-monde sous forme de foi en l’Éternel Retour. Quand la vacuité de pensée est avérée, on allègue n’importe quoi, infère du "néant cosmique" de son propre abîme psychologique intérieur, son pathologique complexe d’abandon, pour impressionner les simples d’esprits et les incultes par des jérémiades de déréliction accoutrés d’arrogance et de blasphèmes puérils ! N’importe quoi aussi au sujet de la dualité spirituelle et corporelle de l’homme dans le christianisme qui viendrait de Platon selon Onfray. Ce dernier confond le christianisme avec la chrétienté où les pères de l’église catholique romaine ont effectivement intégré Platon puis Aristote dans la doctrine monacale, la patristique du catholicisme. Mais onques, le christianisme en soi n’a rien à voir avec le paganisme platonicien. Et, pour la dualité esprit-corps où l’esprit doit dominer le corps et atteindre sa fin dernière au-delà de la mort, par delà l’inéluctable, toutes les grandes religions s’en font porteuses. Que dire alors de l’hindouisme ? Du bouddhisme ? Du jaïnisme ? Du judaïsme ? Car tous ont précédé Platon et tous de leur panthéisme ou théisme, prônent la transcendance de l’illusion de cette vie vu son éphémérité, de l’impermanence du monde matériel et de sa loi du désir et du fini, pour faire primer l’esprit, hypostase intangible et distincte du corps, capable d’atteindre l’infini.
Hélas, l’intervieweur débordé, désemparé a abondé dans le sens de l’interviewé que la foi, notamment la foi chrétienne, est contre la liberté… Ah ! Prétexte facile que la libération de l’homme des servitudes métaphysiques ! Mais alors, la question demeure entière : qu’est-ce que la liberté, cet espace du choix volontaire et sans contrainte, au stade métaphysique ? Moi, je réponds qu’elle est le droit de choisir son maître. En vérité, l’homme ne choisit que ce qui le soumet et le détermine par sa lecture du sens premier et ultime du monde et de lui-même. Sens dont les conséquences ontologiques impliquent le mode existentiel téléologique de l’homme dans son rapport à soi et au fait d’être, sa relation intime avec le destin.
Malheureusement la flaccidité facile du simplisme est plutôt le recours des radoteurs sans substance et sans approfondissement de leur position. Je sourirais alors narquoisement en entendant la pesanteur fallacieuse des onfrayades et leurs énormités maladroites dans l’espace public qu’est la télévision, si cela ne risquait pas d’induire les plus impressionnables en erreur. Pourtant, même l’esprit simplement cultivé, celui qui ne se cache pas derrière un statut fortement recherché par un excès de zèle discursif comme le fait Onfray, sait intuitivement que les grandes questions des origines premières et des fins dernières, bref de généalogie et d’eschatologie fondamentales, baignent dans la raison et dans l’au-delà de la raison. D’ailleurs, c’est à cette intuition de l’au-delà de la raison que nous devons les mythologies et ces vérités codifiées que sont les grands mythes. Et c’est précisément cet au-delà nécessaire et incontournable parce que inhérent à la raison, qui nous transforme en non-sachant et qui ouvre le pas à tout le reste, je veux dire à la métaphysique avec sa métarationnalité, ses métaraisons relevant autant des configurations psychologiques du déterminisme ou du nihilisme que des réactions idiosyncrasiques, c’est-à-dire individuelles personnelles. La foi comme l’absurde relèvent d’une posture de la raison arrivant à ses limites rationnelles et prêtant le pas au non rationnel si l’on péjore, ou au surrationnel si l’on veut garder un langage mélioratif de la condition humaine face à l’infini.
Il est donc impératif de comprendre d’un point de vue strictement descriptif que peu chaut la forme de l’attitude humaine face aux limites de la raison, par essence et non par accident, la raison cède le pas à ses au-delà nécessaires comme conséquence naturelle de la faculté de raisonner avec sa quête du sens, contingents seulement dans les formes diverses, croyantes ou non-croyantes qu’ils prendront. Seuls des niais, des prétentieux, des simplistes peuvent prétendre que tel au-delà de la raison est rationnel et doit servir d’argument de l’intelligence contre la foi.
Les onfrayades sont comme autant de ruades primitivement hédonistes contre la foi et la transcendance spirituelle où la raison, la simple, celle que Kant appelle « pure » est astreinte à la noyade dans une mer de platitudes, d’impostures et d’incohérences… Et dans le décor de la télévision people d’un autre genre, Onfray qui, en passant, s’est dit politiquement porteur d’une « romance de gauche » un peu pour rassurer le genre de « classe médiatico-télévisuelle » qui le regarde en l’assurant que toujours sa « gauche » (on peut imaginer la vraie) restera une pure romance et ne quittera jamais les limbes pour parvenir au pouvoir et déranger la belle société telle qu’elle est. C’est donc ainsi, que la philosophie est pitoyablement mise à contribution par un farceur, pour flatter la classe niaise de petits-bourgeois québécois et d’ailleurs, flagorner le téléspectateur douillet et ne pas gêner le journaliste complaisant qui l’a reçu. Il est désormais maître de scène du petit écran sous le fard de philosophèmes classiques tels la raison, la foi, la liberté, tous concepts traditionnels de la philosophie que le baragouin perfide tristement vide d’idées de l’homme, emplit d’un tantinet de culture et de répétitions des célébrités du passé où tout est présent fors une réflexion propre et une vision venant de soi de la part de ce tribun des sécheresses, cette montagne d’écholalies qui rappelle les perroquets mais insulte l’esprit philosophique…
Pour rester heureux malgré ces imposteurs contre la vraie méditation ontologique, je me dis que l’imposture comme tout mal démasqué est dialectiquement édifiant par la conscience qu’elle nous fait prendre et la mise en garde qu’elle nous donne contre les ravages de ses mensonges et manipulations. Ainsi donc, dans cette perception des choses, les onfrayades ont ceci d’enrichissant, c’est qu’elles sont négativement instructives ; elles nous révèlent cette évidence désormais établie pour tous, que la pitrerie et l’histrionisme discoureurs peuvent être tout sauf philosophiques, sauf porteurs de pensée saine et profonde sur l’être et l’humanité…
Quand la platitude d’un rhéteur simpliste jette ses arguties dans la platitude petite-bourgeoise d’une certaine caste, elle ne peut prétendre instruire le peuple ni améliorer la société, ni élever la culture. En vérité, dans sa projection vide, vile et livide, vainement verbeuse et vaniteuse, la platitude du dénigreur du christianisme, de l’athéologien sans nuance ni dosage discursif, ne saura que désorienter le questionnement serein et la digne méditation des esprits de l’auditoire public, qui voudraient être dotés pour leur propre intellection de la réalité humaine et cosmique.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE