Michel-Ange Momplaisir
Mon cher Camille Loty Malebranche,
J’ai lu avec plaisir et intérêt votre article paru au 30 mai 2012: L’Aporétique, cet univers du supralogique… Je n’ai pu m’empêcher de penser à Platon dans le Théétète, un dialogue de la maturité du penseur.
Aporétique vient du grec aporia, difficulté logique sans issue, impasse. Dans le Théétète, à la grande question posée : « Qu’est-ce que la science ? », il n’y a aucune réponse satisfaisante. La science n’est ni sensation, ni opinion vraie, ni opinion vraie accompagnée d’une définition. Parlant au nom de Platon, Socrate, un spécialiste de la réfutation, l’elenchos, une arme redoutable de sa première dialectique, critique et rejette tout. Le dialogue se termine sur une impasse, une aporie. Pas d’accouchement de la vérité dans le Théétète. Cependant, il y a une leçon à retenir : « Le savoir de la science nous échappe. »
La seconde dialectique de Socrate, parlant toujours au nom de Platon, un art d’analyser, dialegein, les concepts en distinguant leurs principales articulations, les genres et les espèces, qu’Aristote raffinera dans ses traités de logique, vise à voir les choses d’en haut, à les embrasser dans une vision d’ensemble, sunoptikôs, « après avoir renoncé à l’usage de ses yeux et de ses autres sens, ce qui permet de s’avancer en compagnie de la vérité vers l’être même. » Ce dialegein se retrouve dans les dialogues qui suivent le Théétète, les derniers de Platon, notamment le Sophiste et le Politique. Cet être, c’est l’ontos on/l’étamment étant, le Vere Ens (l’Être Vrai)de la Scolastique latine. Dans le Sophiste, § 253 b, c’est au philosophe, explique Platon par la voix de Socrate, qu’il appartient de penser l’être. « Le Philosophe, de son côté, toujours placé par ses réflexions au contact de la nature de l’être, s’il n’est pas du tout facile à voir, c’est en raison de l’éclatante lumière de la région où il réside ; car la multitude est incapable de soutenir avec fermeté, par les yeux de l’âme, une vision qui se porte ainsi dans la direction du Divin ! »
Seul le philosophe peut passer au-dessus de l’impasse, de l’aporie, pour gagner le monde supralogique de l’être, le topos noètos, le lieu de séjour des Formes Intelligibles. Il est le seul capable d’y accéder, en s’échappant de la caverne. Ainsi, pour Platon, la seconde dialectique est une science, dont l’objet est la vérité, représentée par les Formes Intelligibles. Voilà pourquoi Théétète n’a pu définir la science, sans aucune référence à ces Formes Intelligibles.
Avec toutes mes félicitations.
Michel-Ange Momplaisir