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Interview de Maria Arbatova par Inna Novikova, 4 décembre 2012 à 21 h 29 min /
Pravda.Ru

« Un agrégat de gens désorientés qui n’ont en commun que l’argent ou la guerre, » voilà comment la célèbre écrivaine Russe Maria Arbatova a décrit les États-Unis lors d’une rencontre avec Inna Novikova, la rédactrice en chef de Pravda.Ru au cours de laquelle elle lui a confié ce qu’elle pensait du pays qui ne cesse de vouloir imposer sa volonté à la Russie.

Inna Novikova – « Vous venez de rentrer des États-Unis. Pensez-vous que ce pays a les mêmes problèmes que la Russie en ce qui concerne les relations entre les gens de différentes nationalités et de différentes mentalités? »

Maria Arbatova – « En fait j’ai une suggestion à faire : envoyons tout le monde aux États-Unis, vous verrez que les gens en reviendront patriotes. L’Amérique est considérée comme une nation tolérante mais en fait j’ai compris que ce qui la caractérise au niveau national, c’est: « Vous n’avez pas de passé ». Le pays est composé d’un agrégat de gens en grand désarroi qui ne sont liés que par des intérêts financiers ou le désir de faire la guerre quelque part. »

I. A – « Mais les immigrants ne sont en guerre avec personne. Ils sont financièrement dépendants, ils doivent être tolérants et s’adapter à la société? »

M. A. – Le discours sur la tolérance et la douceur des immigrants fait bien rire psychologues, psychanalystes et psychiatres. Ils sont tolérants parce qu’ils sont enserrés dans un filet policier. Aux Etats-Unis tout est construit sur la base de lois vraiment idiotes et les immigrants s’y heurtent un jour ou l’autre. Par exemple, voilà ce que nous a dit un ami –un diplômé en droit– pendant que nous roulions en voiture : « Les amis, je vis dans un pays schizophrène. Je roulais au bord de l’océan l’autre jour et j’ai voulu m’asseoir sur la plage, et c’était un endroit réservé à la pêche surveillé par la police de la pêche (il y a la police sanitaire, la police de la poste et toutes sortes de polices différentes). Alors la police de la pêche, dans son uniforme spécifique de police de la pêche, est venue me trouver et m’a dit que je devais payer pour aller pêcher sur la plage. « Montrez-moi votre cane à pêche, » m’ont-ils dit. Je n’en avais pas alors j’ai menti en disant qu’elle était dans la voiture. Une policière m’a rétorqué : « J’espère qu’elle est bien dans votre voiture, parce que vous comprenez, ici c’est une endroit pour pêcher et si vous n’étiez venu que pour vous asseoir, ce serait un délit. »

I. A – « Et ça, c’est particulier à l’Amérique, n’est-ce pas? »

M. A. – « Oui, c’est une spécificité américaine qui rend fou tout le monde. Par exemple, quand la fille de mon amie est allé vivre près de Chicago, son mari a acheté une voiture qui avait auparavant servi à livrer des pizzas. Sur la voiture il y avait un autocollant avec quelque chose d’écrit dessus. L’homme a parqué la voiture près de chez lui et quelques minutes après une voisine a appelé la police. L’homme a dû payer une amende de 500 dollars parce que « les voitures commerciales » n’avaient pas le droit de se garer à cet endroit. La police l’a forcé à aller tout de suite acheter de la peinture pour recouvrir la publicité pour la pizza en leur présence, sinon il aurait eu une autre amende. »

I. A – « En Russie tout est différent. »

M. A. – « Oui, notre vision de la vie est différente… Que se passerait-il en Russie dans un cas semblable ? Quelqu’un viendrait vous dire, « Eh ! il faut effacer ça, sinon tu vas avoir une amende. » Nous, nous appelons la police seulement quand les gens n’arrivent pas à se mettre d’accord, quand ils se mettent en colère. En Amérique les choses sont très différentes.
« Peut-être que nous devrions nous comporter de la même manière ? Par exemple quand nous essayons de parlementer avec des voisins bruyants… ou des ouvriers qui font marcher des marteaux piqueurs la nuit. Parfois on réussit à régler le problème mais pas toujours. Peut-être que ce serait préférable, au lieu de perdre notre temps et notre énergie, d’appeler la police pour qu’elle règle tout? Ça paraît une bonne idée, non ? »
« Mais au bout d’un moment, on cesserait d’être des êtres humains. Le filet policier qui couvre les Etats-Unis, en fait, n’attrape presque rien. Je viens juste de parler avec quelqu’un qui vit à Brooklyn depuis 20 ans et qui connaît bien le fonctionnement du quartier. Je ne parle pas de Chinatown, on ne sait même pas combien de personnes y vivent (et à New York il y a sept quartiers chinois). Il dit qu’il n’y pas le moindre policier à Brooklyn. D’abord la police a peur. Ensuite tout y est sous le contrôle de gangs de criminels comme c’était le cas chez nous à Moscou pendant les années 1990. Si quelqu’un vous vole votre porte-monnaie, il vous faut aller voir un chef de gang et c’est lui qui réglera le problème. Il y a un réseau policier mais il ne sert à rien. Cet homme vit à Brooklyn sans papiers depuis 20 ans, comme sa femme et la moitié de ses voisins. »

I. A – « Alors ils ne peuvent aller nulle part, ni étudier, ni bénéficier d’aides sociales? »

M. A. – « C’est encore bien pire que ça, mais ça ne fait rien. La plupart des gens de Brooklyn vivent ainsi. Il y a aussi Brighton, où vivent les immigrants les plus pauvres du monde –les plus misérables que j’aie jamais vus. »

I. A - »Mais enfin, combien peut-il vivre si longtemps sans papiers? »

M. A. – « Il peut et depuis 20 ans. Il vit comme ça, il travaille, cotise pour sa retraite et il la touchera plus tard. Je lui ai demandé: « Comment vous faîtes pour vivre sans papiers ? » Il m’a répondu qu’en Amérique il n’y a pas de coordination entre les différents systèmes. Il m’a raconté que deux semaines après l’attaque du 11 septembre un des Arabes qui avaient détourné l’avion avait reçu un permis de travail. Qu’est-ce que vous dites de ça ? »

I. A - »Mais quand même il doit bien y avoir des cas, surtout pendant si longtemps, où on a besoin d’un passeport? »

« Oui, c’est ce que je lui ai demandé. Il m’a répondu : « J’ai été renversé une fois par une moto. Je me suis réveillé aux urgences et je me suis dit qu’ils allaient me déporter. J’habite ici depuis si longtemps qu’ils auraient dû me déporter. Mais ils m’ont juste pris mon permis de conduire et ouvert un casier judiciaire, et tout c’est bien terminé pour moi. »

I. A – « Alors l’Amérique est peuplée de gens qui y vivent illégalement ? »

M. A. – « Oui, et c’est le problème avec ce pays. Tous ceux qui y viennent ne pouvaient pas vivre normalement dans leur pays, la vie y était insupportable, ils ne pouvaient pas survivre dans le pays où ils sont nés. C’est une sorte de condensé de tragédie humaine. »
« Beaucoup de ceux avec qui j’ai fait mes études sont partis en Amérique. Et beaucoup sont ensuite revenus mais ils avaient perdu du temps et s’étaient donné du mal pour rien… Certains sont restés là-bas, mais malgré leurs diplômes universitaires ils ont dû travailler comme vendeurs ou ce genre de chose. Et pourtant, de nos jours, beaucoup de jeunes parlent à nouveau d’émigrer, beaucoup en rêvent. Cela signifie-t-il qu’ils ne tirent pas profit des expériences désastreuses de leurs aînés? »
« Vous savez, ça ne fait pas vraiment peur aux gens de partir. Selon les statistiques de certains pays européens, 50% des gens disent vouloir émigrer. Eh oui, ce sont des jeunes. Nous avons 20% de gens comme ça. Il est clair qu’on ne peut pas aimer son pays si on ne le connaît pas. Notre pays est immense et ceux qui ne sont jamais sortis de Moscou et de Saint Pétersbourg ne se rendent pas compte qu’ils ont bien de la chance de vivre où ils vivent. Je suis allée une fois à Magadan en avion et je crois qu’on a survolé des montagnes, des rivières, des forêts, des ours pendant les six heures du vol… Et quand on arrive dans cette ville si lointaine, on rencontre des gens qui parlent notre langue, nos auditeurs sont les mêmes personnes qu’à Moscou quand on présente un livre, on mange la même salade Olivier… Et on comprend que cette gigantesque machine, eh bien elle est toute entière à nous. »

On trouve une excellente analyse de cet interview sur Dedefensa sous le titre « Impression fulgurante de la catastrophe américaniste« .

Et pour compléter l’analyse « La Russie et les temps nouveaux » sur le même site.

Pour consulter l’original : pravda.ru

Traduction: Dominique Muselet

Tag(s) : #Dossiers spéciaux, articles et vidéos
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