L’aide généreuse apportée aux Palestiniens via des canaux divers est la récompense offerte par l’Occident en échange de la tolérance envers l’apartheid israélien.
Il y a quelque chose d’embarrassant, voire d’humiliant, dans ces paires, trios et troupeaux de véhicules tout-terrain qui se précipitent vers le site d’un désastre. Leurs passagers, qui s’expriment en des langues étrangères, émergent afin d’établir un rapport minutieux des dégâts, d’évaluer l’aide nécessaire et de considérer ensuite la façon de la prodiguer. Ensuite, ils publient leurs trouvailles et conclusions dans des rapports internes et dans des brochures à papier glacé truffées d’images spectaculaires, car la souffrance est très photogénique.
Même quand ces équipes de secours sont très attentionnées, compatissantes et dévouées, l’aura de leur monde habituel, confortable et sain les entoure, les séparant ainsi de ceux pour qui les catastrophes sont une habitude. Les premiers gagnent leur vie grâce aux calamités, les seconds les vivent. Même sans être cynique, ce scénario l’est par définition.
Même au cours de désastres naturels, une part importante du blâme s’attache aux manquements administratifs, aux actes humains, à la négligence criminelle dont le seul but est de perpétuer les disparités de classes. Mais, au moins, quand la cause immédiate est une tempête ou un tremblement de terre, il existe une grande dose d’inévitabilité. Les gens déterminent l’ampleur du désastre, mais pas son caractère événementiel.
Les équipes internationales en jeep qui se rendent dans chaque coin de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza vivent aux dépens d’une calamité qui est à 100 pour 100 causée par la main de l’homme, et ce fait accroît encore grandement le cynisme du scénario. Les camions-citernes d’eau potable qu’elles financent régulièrement, les colis de nourriture qu’elles distribuent toutes les quelques semaines ou tous les quelques mois et les tentes plantées chaque semaine sur les ruines d’une maison démolie surenchérissent sur un autre succès israélien : de bataille pour la liberté, l’indépendance et des droits qu’est la question palestinienne, réduire celle-ci en une question de charité et de secours, de dons internationaux et de timing.
Les Palestiniens « nécessiteux » qui reçoivent des dons en eau, en nourriture et en tentes à Hammamat al-Maleh, Beit Lahia et Shoafat sont nécessiteux parce que des Israéliens ordinaires – l’élite de l’État et des systèmes scolaires soumis à la religion de l’État, des officiers de carrière de haut rang – à même d’envisager un brillant avenir civil dans la haute technologie ou les services publics se sont spécialisés à les maltraiter. Et, si ce n’est pas de violence, comment qualifier une canalisation qui traverse votre terre à Al Farisya, dans le nord de la vallée du Jourdain, et qui apporte de l’eau à des maisons juives construites sur les terres de votre village, mais de laquelle il vous est interdit de prendre ne serait-ce qu’une goutte ? Et, si ce n’est pas de la maltraitance, que dire de cette habitude consistant à tirer sur des gens qui se prennent eux-mêmes en charge en pêchant ou en triant des détritus ? Et, si ce n’est pas du sadisme, que dire du fait de chasser des gens de leurs maisons dans les quartiers de Sheikh Jarrah et Silwan, à Jérusalem-Est et de refuser d’enregistrer les enfants sur les cartes d’identités de leurs mères pourtant résidentes de Jérusalem ?
Le public à qui sont destinés tous les rapports décrivant ces abus et rédigés par ces équipes dévouées est constitué d’importants diplomates stationnés à Bruxelles, dans les capitales européennes et nord-américaines. L’information est censée être transmise ensuite aux ministres des Affaires étrangères et aux gouvernements. Et c’est sans doute le cas pour une bonne partie de cette information. Mais ces gouvernements ont pris la décision politique consciente de se cramponner à leur hypocrisie et de s’abstenir de toute intervention politique. En lieu et place, ils paient tout simplement pour éteindre quelques feux.
Ça aussi, c’est un énorme succès israélien : La préoccupation internationale, quotidienne et constante, à propos des conséquences de la domination et du contrôle d’Israël sur les Palestiniens et leurs terres est humanitaire plutôt que politique. Contre leur volonté, ces participants dévoués à l’effort humanitaire sont une feuille de vigne pour les États occidentaux qui soutiennent les droits et l’indépendance des Palestiniens sur papier tout en acceptant l’apartheid d’Israël dans la pratique.
L’apartheid génère des causes caritatives pour lesquelles on organise des conférences importantes assurant à de nombreux Palestiniens et bureaucrates étrangers une existence (confortable). L’aide généreuse aux Palestiniens, via divers canaux, est la récompense offerte par les États occidentaux en échange de la tolérance qu’ils affichent à l’égard de l’apartheid israélien et des encouragements qu’ils lui apportent, sous forme d’étroits liens défensifs et de multiplication des relations commerciales et des échanges culturels et scientifiques.
Publié sur Haaretz le 6 février 2013. Traduction pour ce site : JM Flémal.
Amira Hass est une journaliste israélienne, travaillant pour le journal Haaretz. Elle a été pendant de longues années l’unique journaliste à vivre à Gaza, et a notamment écrit « Boire la mer à Gaza » (Editions La Fabrique)
Source : pourlapalestine.be