Pour connaître un homme, cherchez en lui le juge.
L’homme ne se mesure guère par le tangible pondérable, la valeur d’un homme se dévoile par sa manière de juger, de rêver…
Je dis juger et rêver car l’homme pense en jugeant, cogite, réagit et agit selon son jugement. Le jugement, cette interprétation de l’action, des situations et des faits, est la clé de la weltanschauung individuelle et collective, qui fait ses projections, ses projets et donc imprime en l’homme la modalité globale : morale, logique, téléologique dans l’entreprise de réalisation de ses rêves, dans la construction de soi. C’est le jugement qui révèle la nature digne ou vile de l’être humain, son statut d’individu ou de personne. C’est là que les émotions perverses, manipulées ou brutes et primitives brisent la raison et galvaudent l’esprit ; c’est là que les rationalités monstrueuses du système ambiant dévient la rationalité juste et authentique. En effet, seuls les rares hommes assumés dépassant l’individu en eux pour être personne par l’idéation humanisante du jugement, sont des hommes. Mais disons-le dès le départ, il est faux de croire que le jugement relève nécessairement de la raison et l’élévation. La plupart des jugements portés par les individus et leur haeccéité dénaturée ou corrompue sont réflexes et non réfléchis, émotifs irrationnels et déviés à la source. La rareté de la justice et de la décence au monde, la bêtise proliférante des soi disant humains, sont la preuve sans équivoque de la rarissime existence du jugement vrai et juste délié des scories du social et du misérabilisme existentiel des majorités à commencer par les prétendues élites.
La fin du jugement est l’idée. Chose lourde de conséquence pour le devenir et le statut spirituel voire ontologique de l’homme. Idée, synthétisation de la pensée avec ses trois étapes méditative, réflexive et cognitive que bestialisent les pulsions primaires de l’animal humain, que préséquestre la société par le conditionnement de l’individu dès la naissance. Les idées, par la représentation du monde et des situations qu’elles charrient, sont donc spécifiquement le lieu où se jouent l’authentique et le faux à l’échelle des consciences. L’authentique en les conditions susdites, est donc presque toujours esquinté, assigné à la marge de nos sociétés de duplicités ! L’homme pluridimensionnel, est une Pensée-Action car la pensée et l’action sont les plus patentes manifestations de sa nature. Pensée-Action consciente de ses choix et de ses jugements. Pensée-Action qui se révèle dans ses rêves c’est-à-dire ses projections de soi (téléologie-entéléchie) dans le temps et hors du temps. D’un point de vue ontologique, je considère qu’il existe trois champs d’expression de soi chez l’homme pensée-action : le métaphysique, le biologique, le social. Tous prédéterminent le jugement téléologique, la projection conscientielle sur le devenir choisi. Dans ce contexte, l’avenir d’un homme n’est plus la marche autonome et vide du temps vers l’éternel futur (car l’avenir en général est un temps neutre et sans durée), mais la domestication du temps par le devenir dirigé et en accomplissement.
Devenir, voie inchoative de l’esprit s’appropriant son essence !
(Pouvoir et conscience)
Les crises éprouvent et découvrent l’état des consciences. La crise du sens, pérenne en notre société, manifeste quant à elle, toutes les déviances de la collection d’individus qui osent s’appeler l’humanité.
Si l’intellection de toute chose humaine exige l’anamnèse, la conscience, elle, est un champ de possibles et de conquêtes cognitives, réactives et actives. Rien n’y est fatal parce que mue par la volonté choisissante.
Et pour cause, la conscience est fonction métabolique de l’esprit, non subvertie et libre, elle est ce par quoi l’homme transforme les blocages de sa condition et tous les freinages d’autrui en force et pouvoir de libération et de réalisation de soi. Une horde de choses anthropomorphes, une espèce infecte qui intoxique la terre par la prolifération de ses méfaits, ceux qu’on ose appeler l’humanité oubliant trop souvent par un pragmatisme tous azimuts, pragmatisme non mesuré qui n’est que l’esclavage du rentable et de « l’efficace », que le métaphysique prime le biologique et le social. D’où cette humanité déviée en est arrivée à être la plus grave menace pour elle-même et pour la planète tout en jouant d’arrogance imbécile pour fuir son indécence, son infamie.
Le drame est entier, car il s’agit de déchéance spirituelle, de déviance ontologique et de perversion socio-idéologique avec toutes les aberrations que l’on inculque savamment à l’individu dès sa venue au monde par toutes les structures de la reproduction sociale. Le contresens, l’horreur prend allure d’éducation et de justice et chaque homme désormais seul contre tous, doit trouver la lumière et surmonter l’océan de faussetés et d'insanités qui le submergent par le moulage mental et la répression, toutes deux violences de formes différentes mais impitoyables brandies par la société dans la manipulation et l’imposition des représentations du monde et des situations aux individus. Le Christ qui répliquait à ses contempteurs, tranche sans appel en cela : « ne jugez pas selon les apparences, jugez selon le jugement juste » et ailleurs, dans sa proclamation de la vérité spirituelle, comme pour nous faire comprendre que le jugement juste est à l’encontre du monde et de ce que j’appelle le charnel psychologique, affirme clairement que l’homme doit naître à l’esprit : « il faut naître de nouveau (…) si un homme ne naît d’eau et d’esprit, il ne peut voir le royaume de Dieu ». Mission d’auto-régénération de l’individu sur la ruine des saletés qui, dès sa naissance au monde, dès la famille, se chargent de faire de lui, le résidu vivant de la déchetterie sociale. Se défaire de la présomption de culpabilité selon l’ignoble morale mythico-religieuse d’obédience aux devanciers, parents, professeurs, prêtres, pasteurs qui sont censés représenter « Dieu » afin de mieux abêtir et réifier les hommes, demande un mâle courage une confrontation directe avec tout ce qui constitue notre patrimoine psychoculturel immédiat. La souffrance de la renaissance personnelle, ne se résorbe que par la trouvaille des valeurs alternatives de libération et l’ancrage dans la liberté qui en vient. Les propos du Christ, nous rappellent la purification et surtout le Paraclet symbolisés par l’Eau, purification mentale qui est l’unique chemin, la voie royale de la spiritualisation humaine, c’est-à-dire de la prise en main de la Vérité de l’Homme par l’Homme. Dans la mystique chrétienne, la perspective christique, tout ce qui est temporel quoique réel, doit être perçu comme illusion devant référer à la Vérité-Ailleurs. Toutefois, loin d’une désincarnation du monde et de l’homme, c’est l’implication moralisatrice, le refus du grand courant déshumanisant, qui propulse l’homme vers l’entéléchie qu’il assume par le courage de la Vérité nue sans artifice. La fin est donc claire, les finalités sont à notre portée, elles crient dans les appels discrets de la vocation humaine où chacun se doit d’être le propulseur de l’humanité de chacun, loin des déchéances ontologiques, véritables infrabestialités sociales où quasiment tous cherchent à ravaler et à piétiner tous pour « gagner et régner ».
La nuit n’est ténèbre que pour les effondrés alors qu’elle est route du jour pour les libérés. Il n’y a pas de fatalité métaphysique, il n’y a que des jugements aberrants d’esprits défaitistes ou pervers contre leur propre possible, leur destin et celui de l’homme en général.
Pour le reste, la question se pose comme suit : Qui refusera la grisaille accoutrée dissimulée de ce monde du mensonge, d’une société d’illusions, de surenchères d’effets, de luxuriance factice plus grande que nature ?
Qui est prêt à récuser les bénéfices immédiats de la tératogénie du monde, pour prendre la route désertique - déserte car solitaire - mais combien ascensionnelle du Salut et de la verdoyance spirituelle ?
À ces interrogations, force est de souligner que la déshumanisation avancée du monde, nous laisse dubitatif. Car si la pire abomination au monde, est de réifier l’Homme, l’une des incohérences les plus funestes et les plus répandues, est de s’illusionner béatement en croyant que l’innombrable multitude des organismes anthropomorphes formatés de part en part par la cybernétique sociale, est encore humaine !
L’homme a pour mission d’être un travailleur de l’être un édificateur ontologique, agent non patient de son devenir car ainsi que je le dis souvent : Penser c’est se Repenser.
Se Repenser, se juger pour se construire l'Humanité et cesser d’être le patient des cécités conscientielles attisées par le conditionnement social, c’est précisément se réengendrer pleinement humain, intégralement Esprit !
Jugement - Bilan de votre situation
Au bout de cet entretien sur le jugement, thème sur lequel je reviendrai à d'autres niveaux, je vous convie à cet exercice de jugement simple sur votre vie. Que chacun des lecteurs se pose cette question capitale pour lui-même que je formulerai ainsi à la première personne:
Quand je considère tous mes efforts pour entretenir ma situation matérielle et sociale - mon temps consacré à gagner l'argent nécessaire à tout cela, oui, le temps, cette sorte de sang ponctionné par le travail ardu, temps qui est l'unité de mesure de toute vie humaine, et ce travail auquel je voue quasiment tout le temps de ma vie, avec tout le stress, toutes les déconvenues, toutes les inquiétudes rien que pour entretenir une condition matérielle à laquelle on m'a fait croire, dans le souci qui y est de convenir et de plaire à autrui et à la société - suis-je propriétaire, utilisateur et maître, en vraie personne humaine, de ma situation avec tous ces biens et choses que je crois avoir à mon service, ou, au contraire, suis-je juste leur possédé, leur sorte d'esclave inconscient, indolent?
Votre jugement-bilan que vous n'avez à dévoiler à quiconque parce que personnel, sera vrai selon que vous répondiez franchement par une "arithmétique personnelle appliquée" du bonheur et du désagrément (un peu à l'instar de celle que proposaient Épicure et plus près de nous, les utilitaristes), comme un parallèle, une analyse comparative rigoureuse des joies-satisfactions intrinsèques et de l'ennui inhérent aux machinalités imposées par votre fonctionnement quotidien rendu "état de fait", déroulement courant de votre existence telle que déterminée par le système socioéconomique.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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