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par Michel-ange Momplaisir

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Une notion difficile à cerner. À telle enseigne que souvent on se plaît à répéter que la philosophie ne ne préoccupe pas de la définir. Elle préfère rendre compte de l’erreur. Et  de la vérité elle dit qu’elle est une erreur enveloppée de rires sonores.

 

Pourtant, l’auteur de Barbarie des prêcheurs de carcans, Camille Loty Malebranche, a pris le risque d’affirmer que seul le monde de l’Esprit appelé à l’éternel est vrai.

 

Pour Platon et Aristote, le vrai, c’est ce qui est. Au XIIIe siècle, l’ère de la Haute Scolastique, Saint Thomas d’Aquin s’en est souvenu. Selon l’Angelicus Doctus (le Docteur à l’intelligence angélique), veritas est adequatio rei et intellectus, la vérité est l’adéquation de la chose et de l’esprit. En d’autres termes, l’objet en question consiste dans l’accord des choses avec l’esprit; si l’on préfère avec le type idéal que nous en avons et que nous considérons comme une valeur absolue, conséquemment éternelle. C’est la vérité ontologique.

 

L’esprit est-il dans la conformité avec l’objet de pensée, adquatio intellectus cum re? On parle de vérité logique. Elle rejoint au fond la vérité ontologique. L’être que je suis, en tant qu’être, est convaincu que le voleur présenté à la Cour de Justice est un parfait scélérat. L’être que je suis, en tant qu’être, ne saurait se contredire. Prônant un langage scientifique avec le réel, Rudolf Carnap, un personage de premier plan du Cercle de l’empirisme scientifique ou positivisme logique de Vienne, s’opposait à toute contradiction.

 

L’esprit est-il en conformité avec un objet extérieur, un arbre, par exemple ? On parle de vérité matérielle. Une telle possibilité nous renvoie de nouveau à la noétique de l’être.

 

L’esprit est-il en conformité, en accord avec lui-même? On parle de vérité formelle. En effet, si je pense au myriagone, bien qu’il n’en existe pas dans la nature, pareille idée est matériellement fausse, mais formellement vraie. Je peux construire in petto un myriagone. Je peux aussi réaliser dans mon for intérieur un animal à dix têtes. Il y va autrement pour l’idée de cercle carré. Les notions que l’esprit prétend synthétiser sont inconciliables. Elles restent seulement juxtaposées. À vrai dire, on ne saurait penser un cercle carré. L’idée d’un objet contradictoire n’est qu’une illusion de la pensée; une parfaite « inaptitude spirituelle de voir les au-delà intangibles de l’être. » L’illusion, une méconnaissance, « un asile d’ignorance », soutenait Spinoza.

 

L’Aquinate résume la situation: « La vérité est principalement dans l’esprit. Elle est à titre secondaire dans les choses, selon que les choses sont en rapport avec l’esprit comme avec leur principe. »[1] Pour notre Docteur angélique, « le seul moyen d’expliquer la vérité de la pensée humaine est de fonder l’intelligibilité des choses dans une Intelligence Première qui ne peut être que celle de Dieu. »

 

Bien avant lui, Aristote soulignait que « le faux et le vrai ne sont pas dans les choses, mais dans l’esprit. »[2]

 

« La vérité logique de la pensée et du discours humains trouve ainsi son fondement dans la vérité ontologique des choses, qui est leur rapport à l’Esprit Divin.  On peut donc lire la définition adequatio rei et intellectus dans les deux sens, soit comme conformité de l’intellect dérivé de l’homme aux choses qu’il rencontre sans les avoir faites, soit comme conformité de ces choses à l’Intellect originaire de Dieu. Saint Thomas rejoint par là une pensée que Platon attribuait à Anaxagore dans le Phédon. Pensée reprise par saint Augustin, et plus tard par Leibniz. La vérité dont l’esprit humain est capable, et dont l’existence est évidente, renvoie comme à son fondement à la Vérité Première, la Science Divine, dont l’existence n’est pas d’emblée évidente, mais conclue. Dès lors, la connaissance dont l’esprit humain se rend conforme, par sa propre activité, à l’Intelligence Divine, et cette conformité, ou plutôt cette conformation, apparaît comme le bien naturel de la créature intellectuelle. »[3]

 

Auteur de la  Summa de bono (La Somme du bien), Philippe le Chancelier (1170-1236) fut le premier à concevoir le vrai comme un  transcendantal, c’est-à-dire un concept qui échappe aux catégories aristotélico-scolastiques, et qui ne constitue pas un genre. Pour Thomas d’Aquin, un transcendantal comme le vrai représente une épiphanie de l’Être le plus Parfait, l’Ens Perfectissimum.

 

Aussi, la vérité est-elle éternelle, dans le ciel pur de l’Étant étamment étant, Dieu. « Je suis le chemin, et la vérité, et la vie » (Jean 14, 6), déclare le Dieu fait homme, Jésus le Christ.  Image de Dieu, l’esprit de l’homme est capax Dei. Tel est l’essentiel du message christique de la transcendance. Tout relativisme est écarté, celui du sophiste Protagoras (485-411 av. JC) qui prônait le metron anthropos (l’homme, mesure de toute chose), celui Josiah Royce (1855-1916), « la Communauté est la catégorie maîtresse », celui d’Edmond Goblot (1857-1935) et du philosophe analytique américain Richard Rorty (1931-2007), pour lesquels  « l’idée de vérité ne se conçoit que par la vie sociale… »[4]

 

Le critérium de la vérité est l’évidence. Souvenons-nous du mot de Jules Lequier (1814-1862), philosophe de la liberté comme vérité première: « On n’est sûr, en effet, qu’il y a évidence que quand il y a mauvaise foi à douter. » C’est le cas de Sartre, dont « la vérité est essentiellement subjective, multiple, historique... l’homme est seul et souverain maître de son destin. » Le mot vérité n’a plus de sens. Selon Heidegger, la vérité est le dévoilement de l’étant. De plus comme pour Sartre, l’essence de la vérité est la liberté chez Heidegger. Ce dernier, dans Être et Temps (Sein und Zeit), rapproche ce dévoilement (Unverborgenheit) de l’alèthéia des Grecs. Voilà qui vaut pour tout esprit disposé à une telle quête.  Heidegger est-il lui-même disposé ?

 

 

 

Soulignons brièvement que chez les pragmatistes américains, la vérité est dans l’action. Une telle vérité est identifiée avec la réussite chez Charles Sanders Peirce et William James, avec la vérification chez John Dewey, une victoire sur des épreuves instituées. Chez le pragmatiste français Édouard Le Roy, c’est la vérité morale et religieuse qui doit être conquise par l’action et vécue par la pensée. À l’instar de James, Le Roy parvint aussi à définir la vérité par la réussite. « La vérité pour l’homme c’est ce qui fait de lui un homme. », affirmait Saint-Exupéry dans cette même foulée. Maurice Blondel, un autre grand pragmatiste français, laissait entendre que « c’est avec tout son être que l’esprit incarné que nous sommes doit chercher la vérité… Plus profonde que la volonté voulue qui se détermine d’après ce que l’esprit perçoit, la volonté voulante tend vers un au-delà dont l’esprit ne prend conscience que peu à peu. »[5]

 

Pour Gaston Bachelard, la vérité doit être recherchée dans une organisation sous-jacente qu’un travail d’analyse doit metre au jour. De ce principe bachelardien les structuralistes on fait leur beurre.

 

Qu’on « cesse une fois pour toutes de demander des solutions définitives et des vérités éternelles », proclame Frédéric Engels au nom du marxisme.[6]

 

Camille Loty Malebranche, un philosophe de crête à l’aube de ce XXIe siècle, d’origine haïtienne, s’est engagé sur une voie semée d’embûches. Avec beaucoup d’aisance il a réussi à la traverser. En tant que son aîné de loin, je me dois de le féliciter très chaudement.

 

Et si j’étais un Joseph Joubert, je lui dirais volontiers qu’il s’est acquis une grâce naturelle dans l’art d’écrire, et surtout, surtout, il est devenu un talentueux virtuose dans la jonglerie des concepts ardus de la Philosophia perennis.

 

Que CLM continue d’accrocher son char aux étoiles !

 

Michel-Ange Momplaisir.



[1].- Somme de théologie, I, Q. 16, Art. 1).

[2].- Métaphysique, Liv. VI, chap. IV, 1027.

[3].- Michel Nodé-Langlois in Le Vocabulaire des Philosophes, de l’Antiquité à la Renaissance, Ellipses, 2002, p. 456.

[4]. - Traité de logique, Armand Colin, 1917, p 38.

[5].- Cité par Paul Foulquié in Le probème de la connaissance, Les Éditions de l’École, 1964, p. 236.

[6].- Cité par Paul Foulquié in Traité Élémentaire de Philosophie, Les Éditions de l’École, 1960, p. 193.

Tag(s) : #Monde du Concept
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