Bref regard mnésique sur la Dialectique à travers l’histoire.

Par Camille Loty Malebranche

 
À dire vrai, la dialectique comme usage de la répartie pertinente et de l’opposition congruente des contraires idéels est partout où les hommes dialoguent et argumentent, sous tous les cieux et de tous les temps.

Maintenant, pour désigner la dialectique savante philosophique, disons qu’elle évoque à la fois un concept et une méthode, concept méthodologique à ses débuts helléniques où elle fut inscrite exclusivement dans le choc des idées tragiques, dialogiques du drame selon l’art de la dramaturgie, elle a atteint un sommet, un apogée comme mode de l’action révolutionnaire qui, chez Marx, terrifie les capitalistes et leur idéologie prédatrice. Un apogée révolutionnaire où la dialectique fait figure non plus seulement d’idéomachie politique où toujours dès l’Antiquité elle s’est toujours soucié de la vérité au contraire des logomachies sophistes, par la rigueur des idées opposées, par la mise à nu des mécanismes de l’exploitation capitaliste de la société à travers l’idéologie de la bourgeoisie prédatrice. Car lorsqu’il s’agit de la critique du capital, la dialectique sous-tend un regard matérialiste - un matérialisme qui, en l’occurrence, réfère à la fois au système de la propriété privée des détenteurs de grands capitaux et au mode de production propre à l’économie de marché et sa trique sur les non possédants n’ayant que leur force de travail - qui exige la transformation radicale de l’économie politique par redéfinition du mode de vie de la société débarrassée de la propriété privée et des classes qu’elle impute par la mainmise de quelques-uns sur la richesse des nations.
 
Pour revenir aux deux aspects que sont le concept et la méthode hypostasiés en la dialectique, il faut se rappeler que le concept comme tel est une manière synthétique de considérer et de nommer un processus impliquant un certain type de rapport des choses humaines; alors que la méthode est voie et moyen mis en œuvre dans les échanges entre humains et entre classes et intérêts. Au regard de ces considérations, la dialectique matérialiste est une vraie théorisation pour l’action dans la saisie des antagonismes de la condition humaine dans la société où elle orchestre la lutte des classes.
 
La dialectique aura connu en son histoire turbulente et hyperactive plusieurs contextualités au gré des penseurs philosophes et de leurs courants de pensée.
 
L’on sait que c’est dans l’Antiquité grecque que naît la dialectique comme concept et comme méthode. Comme méthode, la dialectique est en somme une didactique méthodologique portant sur la quête de la vérité et le déblaiement du sens ultime des choses connaissables au-delà du spécieux. Selon Diogène Laërce citant Aristote, c’est Zénon d’Élée qui aurait créé le mot « dialectique » pour désigner à la fois la modalité idéelle et la méthode interlocutive où celui-ci évoque le choc des idées dans les débats; puis, la dialectique fut adoptée par Platon l’employant pour qualifier le mode dialogique propre à l’elenchos, cette méthode pédagogique de la maïeutique socratique, où Socrate par réfutation méthodique, force l’intelligence de ses interlocuteurs admirateurs ou contempteurs à accoucher des ultimes conséquences du sens du sujet de la conversation engageant. La dialectique a été également le caractère méthodique de l’éristique d’Euclide de Mégare qui en a fait la technique paroxystique de la controverse pour désarçonner un contradicteur sans pour autant cultiver le souci aléthique qu’elle était censée chercher dans la méthode de Socrate. Plus tard, beaucoup plus tard, la dialectique deviendra au 19ème siècle le fer de lance de l’idéalisme historiciste de Hegel, une dialectique conçue comme herméneutique de l’histoire par la constatation du choc des idées de « l'esprit subjectif (thèse) et de l’esprit objectif (antithèse) atteignant leur absolu (leur synthèse) » dans l’action et les événements déterminant l’histoire. Une dialectique idéaliste qui sera vite contestée par Marx et son matérialisme dialectique que nous évoquions plus haut, où la dialectique, sociopolitique, socioéconomique et pas seulement idéaliste ou herméneutique, va précisément porter un regard révolutionnaire sur la praxis sociale selon la méthode de Marx qui y voit la lutte des classes comme manifestation historique, une dialectique de conflictualité des intérêts de classes, et donc de pugnacité, qui, dans le marxisme, n’est pas seulement antagonique dans le dialogue ou les idées mais comme force motrice de l’histoire et du pouvoir. Ex hégélien de gauche, matérialiste, Marx élabore la dialectique comme instrument mensurateur des conflits de l’économie politique par la critique des moyens de l’exploitation des masses dans le système capitaliste où par delà les idées et leur choc, la lutte inhérente aux antagonismes des intérêts de classes, la lutte des classes façonnant et dynamisant l’histoire, doit aboutir à la révolution par la révolte des masses conscientisées comme ultime victoire historique du choc des intérêts effacé dans la victoire populaire et l’effacement de l’État... Plus près de nous, au vingtième siècle, ce sont les tenants de l’école de Frankfort, notamment Horkheimer et Adorno qui, ensemble, analysent la dialectique de la raison au siècle des Lumières en évoquant les limites de l’implication de ladite raison qui peine à dépasser le mythe dans la factualité de l’agir des sociétés humaines, alors qu’Adorno prolongera son raisonnement dans ce qu’il appelle la dialectique négative laquelle démontrerait la « non identité », c'est-à-dire l’originalité relative de toute pensée, puisque que tout raisonnement rigoureux dépasse la simple identité de tel auteur particulier qui le construit spécifiquement, pour s’implanter dans une chaîne d’analyses de plusieurs penseurs à travers le temps et l’espace.

 
La dialectique, dans l’histoire des débats à travers l’histoire, non préinscrite ni prédéterminée dans un abus doctrinal de propagande pour le mal de l’humanité auquel cas, elle servirait de fer de lance pour les dominateurs et les manipulateurs, est un instrument didactique efficace d’éveil de la conscience. C’est l’arme de tout doctrinaire convaincant, comme ses protagonistes anciens de toutes cultures, de tout milieu géographique et de toute ère de l’histoire. 

De l’éléate Zénon à aujourd’hui en passant par l’elenchos socratique, par Hegel et sa vision historiciste où les idées sont en évolution dans leur relation à l’être de l’histoire ou Marx à travers la praxis dans l’histoire et la lutte des classes sociales, la dialectique est et reste le vecteur puissant qui vivifie les idées et orchestre les réparties dans le feu des débats profonds et lumineux.     
 

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

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