Sinistre adaptation, une nique à l'intelligence!

Camille Loty Malebranche

L’intelligence s’exprime-t-elle vraiment par la capacité d’adaptation comme les idéologues capitalistes d’aujourd’hui le soutiennent à tout vent? Si oui, tous les opportunistes qui s’adaptent à n'importe quelle condition pourvu qu'ils puissent en profiter, comme des hommes de main adaptés au meurtre pour s'en enrichir, sont des génies, alors que ceux qui dénoncent les excès et les méfaits d'un ordre puissant établi, deviennent des idiots arrogants dans l'évangile ignoble quasi manichéen de l'imbécillité systémique? Et, si telle est vraiment l’intelligence, les grands savants, pionniers de visions totalement insolites et exceptionnelles dans leur société d’immersion, sont des crétins! Copernic, en l’occurrence, est un balourd pour avoir rejeté le géocentrisme universel en son temps, et les humanistes antiesclavagistes du 18ème siècle, des ignares!

Les prédateurs d'État qui usent des structures matérielles et culturelles pour accaparer l'économie nationale des peuples par la finance avec la corruption et complicité des politiciens élus, ne sont pas plus intelligents que tous mais simplement des scélérats prêts à tout. Leur seule vertu consiste en ce qu’ils sont plus sales et plus sinistres que la majorité des hommes, plus cyniquement immoraux et criminels que tous. Ce sont des monstres à tout faire sans scrupule. 

L'intelligence peut, en certaines circonstances, pour des raisons humaines, logiques ou morales, refuser l'adaptation!

Quand l’adaptation est ruine du sens et du bon sens, quand l’adaptation est reddition du bien au mauvais par lâcheté ou opportunisme, elle n’est ni intelligence, ni intégration mais amenuisement et dissolution de soi. C’est sans doute la propension de la plupart des hommes à s’adapter qui a conduit le monde aux dégénérescences dévorantes d’humanité que l’on constate. Car s’adapter à tout malgré le mal constaté, nourrit le mal et le rend plus puissant à chaque individu et groupe qui pratique cette adaptation. Et si c’est plus facile parce que non pugnace de s’adapter malgré tout aux forces dominantes du système social dans ses différents schèmes de fonctionnement et de pouvoir, n’oubliez jamais que toute complaisance avec le mauvais par goût de facilité est inversement proportionnelle à la dignité et à la liberté, ces valeurs sans prix de l’humanité que vous revendiquez!

Par adaptation, nous taisons la volonté forte du bien pour les mollesses du groupe, et, entre l’inadaptation qui côtoie la marginalisation voire l’excommunication et la conformité qui nie les bonnes convictions dans les justes principes, il est un enjeu aussi puissant que le courage ou non d’être libre et d’assumer l’ascèse volitive de la liberté!

 
À chaque effort d’intégration en s’adaptant aux exigences du mode de vie social, l’homme a pour obligation intrinsèque de se demander jusqu’où il est prêt à aller pour être reçu, bien vu et être habilité à obtenir des privilèges dans un système où les quelques seigneurs de la féodalité moderne dans leur délire du pouvoir total, bafouent les droits économiques des majorités et fignolent en privilèges le dû de tous, ne serait-ce que le droit de l’individu d’être reconnu pour ses mérites! Oui, dans son combat d’adaptation, l’homme ne saurait taire sa conscience de soi au nom de la structure; il doit savoir s’il fait du renoncement sainement mesuré ou s’il bascule dans la renonciation de toute son humanité pour n’être que rouage, pièce favorisée d’une structure inhumaine.

Si les idéologues modernes parlent de l’adaptation individuelle au système infernal de société comme une marque d’intelligence, c’est par cet excès dans l’excès que constitue déjà le système lui-même qu’ils défendent. Car plus les individus en foules s’engouffrent dans les trappes morbides de l’économie mortifère et de la société du paraître où toutes les relations humaines sont orchestrées par les prérequis de l’ordre imposé selon l’oligarchie prédatrice, plus le système devient fort et durera! 

Que tout homme vraiment intelligent, capable de penser par soi-même, prenne garde : il n’y a pas de gloire ni d’intelligence à être vilement opportuniste et compulsivement happé par des sortes d’ambitions sociales qui consistent à se soumettre aux saletés systémiques pour y être consacré et honoré. N’oubliez jamais que les tueurs en série, les violeurs sont aussi des héros de leurs pairs, que l’on est toujours le héros de quelqu’un. Alors, choisissez quelle sorte de héros vous voulez être et de qui, et surtout de quelle cause! L’approbation par les structures oligarchiques et les cohues aliénées et suivistes des quelques monstres qui décident de quels larbins honorés en interdisant tout porteur de verticalité humaine, n’a pas de gloire, ce n’est que vile reptation qui singe la hauteur! La grande intelligence, lorsqu’elle est moralement consciente peut parfois jouxter l’inadaptation à notre société soi disant ouverte et prétendument démocratique qui, pourtant, n’accepte que la sujétion totale de l’homme sinon son ostracisme!

La ville, cet emblème fondamental de la civilisation, dévoile le monde civilisé contemporain comme broyé par sa réduction déraisonnable au marchandage. Les grandes villes sont de vastes espaces de centres commerciaux et de structures, (que ce soient musées et lieux d'observations spatiales) où tout tourne autour de transactions de ventes et d'achats d'objets, de services, de titres ou de billets de spectacles et de loisir. De sorte que s’adapter au monde tel qu’il est aujourd’hui, implique quelque part, être marchand, voire, en de nombreuses occurrences, se produire soi-même, subrepticement comme marchandise sans se l’avouer. La civilisation orchestre un ordre exclusivement marchand et financier, lequel est si puissant si envahissant qu’il subvertit toutes les dimensions humaines de telle sorte que l’humanité en est arrivée à une servitude qu’elle refuse de s’avouer tant elle la considère fatale voire normale… La civilisation et son ordre de marchandage où tout doit être commercialisé et rentabilisé, finit par remplacer la sagesse et la métaphysique par une sorte de nouvelle doctrine eschatologique qui est la vente, une métaphysique tordue du sens qui est le marchandage. Et, par redondance du mal et par circularité de la bêtise, lorsque la conscience humaine intronise un non sens comme norme, c’est l’abîme de l’aliénation de l’intelligence qui se ferme sur lui et sa liberté de comprendre, sa souveraineté d’interroger et de se révolter. 

L’aliénation de la victime est, entre autres définitions, la perception du bourreau comme normal ou même comme bienfaiteur par ladite victime alors que pour le bourreau, l'aliénation se profile par l'appréhension du mal infligé comme norme voire comme faveur faite à la victime! Complicité macabre d’un ordre de fausseté pathologique, d’un rapport d’irrationalités grossières. 

Les tenants de l’ordre économique et de la société servile en émanant, opèrent exactement comme le bourreau et la victime aliénés. C’est pourquoi tellement de multitudes trouvent des arguments logiques et rationnels pour s’inciter elles-mêmes à maintenir et vivre ce corpus d’aberrations selon un sinistre suivisme idéologique par rapport à leurs élites. Les gens se croient intelligents de fonctionner tel que leur disent les idéologues fortement médiatisés ou prisés dans le sérail scolaire!

Rationaliser le fonctionnement individuel selon l’adaptation à un ordre malsain, raisonner par ajustement à un ordre irrationnel, est toujours possible en raturant les fondements injustes et déraisonnables des choses, mais une telle rationalité, abjecte en ses racines, n’est jamais que le fruit d’une intelligence et d’une raison déviées et déviantes par la ratiocination systémique mensongère de puissants profiteurs.  

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

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