Par Camille Loty Malebranche
Le temps humain est soit passivité, soit activité, et il incombe à la conscience humaine de le déterminer en l’assumant passivement ou activement. La vieille notion de « carpe diem » (cueillez le temps) qui remonte au moins à Horace, est un intemporel appel à domestiquer aujourd’hui, le temps, pour en faire notre complice par l’action présente. Le carpe diem est applicable à la fois en métaphysique eschatologique, en prospective organisationnelle et dans le domaine sentimental relationnel. Nous aborderons le plan métaphysique dans un autre article à lui seul consacré.
Dans le carpe diem, il convient de déceler la mesure dans le penser et l’agir à chaque acte qui appelle la décision humaine. La mesure, cette perspicacité de l’autocritique à travers le jugement de l’essence, de la finalité et du contexte de l’action que j’envisage à mener, est l’assumation consciente de mon choix et l’autocontrôle comportemental. C’est en fait la sagesse volitive de ma suprématie conscientielle par quoi je m’empare du temps et le fertilise par la pensée et l’action en posant repères et balises. Mais attention, le carpe diem n’implique nullement un travail au sens courant d’un emploi rémunéré ou une exigence de travailler, à moins que ce soit selon les critères de goût, de créativité et d’après le rythme que détermine lui-même le sujet travaillant, pleinement satisfait de ce qu’il fait et qui exprime son talent voire son génie par delà toute obligation matérielle et toute pression d’un autre. Toute présence d’une obligation disposant du temps d’un homme uniquement de manière utilitaire pour expédier des besoins de subsistance ou répondre à la contingence de sa situation matérielle ou fonctionnelle, empêche le carpe diem qui est vraiment au moins au départ, un moment de choix sans contrainte ni contingence. Le temps utilitaire est un temps banal et de fardeau pour l’homme - même si la condition humaine, quel que soit l’homme, est aussi faite de ce type de temps banals et de fardeau - un tel temps ne sert pas à exprimer pleinement la liberté choisissante et n’est pas l’expression volontaire du talent ou du génie, ces seuls champs où les exigences du travail ne sont point des contraintes vu l’exaltation de soi, ces seules occurrences où l’utile se marie à la plénitude de la volonté du travailleur qui exprime son être. Au cas où, je donne volontairement de mon temps selon mes valeurs - sans exhibitionnisme ni arrière-pensée intéressée, comme deux heures à prononcer gratuitement une conférence, des jours à assister un individu en confusion qui fait appel à mes conseils - le temps accordé est aussi un temps cueilli et fertilisé puisqu’il relève du don de soi dans toute sa noblesse gratifiante. Car le carpe diem ne se vérifie que par la noblesse intentionnelle. Ici, comme en tout ce qui est humain c’est le sentiment noble et ses intentions qui justifie, valorise. Le carpe diem est l’apanage du décideur souverain; c’est celui qui choisit avec quoi et comment remplir son temps qui cueille donc le présent sinon ce n’est pas son temps mais le temps exproprié par le disposant de son activité rendue soit servile soit vendue selon l’exigence de travail. C’est pourquoi le carpe diem est un acte subjecto-objectif c'est-à-dire émanant du sujet se fixant des objectifs personnels.
Plan téléologique, appel à l’action conquérante
Le plan téléologique est celui où je suis constamment en train de m’assumer comme être en projection à travers l’action comme voie des fins fixées. Carpe diem, c’est l’invitation à agir aujourd’hui pour les conquêtes de demain, l’aujourd’hui étant le seul terreau pouvant être ensemencé pour fertiliser le demain. Il s’agit en fait d’une approche lucide de la valeur prospective de l’action humaine. C’est la fertilisation du temps, là où l’homme force ce flot irrépressible qui semble tout assigner à l’effacement, à porter les fruits programmés de l’entendement humain, par la puissance de la parturition de l’action humaine. C’est le démantèlement de l’effet dissipateur du temps transformé en chantier de construction. C’est le temps fait instrument pour construire à contre courant de ce qui finit, ce qui commence et naît de l’action humaine. En politique comme en toute entreprise qui permet à l’individu d’atteindre des fins au futur, des fins qui sont exploitables et prolongeables par d’autres générations, nous pouvons dire que c’est la cueillette du temps par la décision de ceux qui ont agi ou commencé à agir et qui bâtissent le monde, ayant rendu le temps propice à la conquête d’objectifs visés. La téléologie comme projection de soi, constitue la part de victoire que se donne l’Homme agissant sur les aléas et vicissitudes du fini immédiat qu’est la temporalité. La téléologie politique, elle, est le projet collectif que donnent des constructeurs sociaux à leur société, leur peuple, pour un avenir meilleur.
Plénitude relationnelle…
Un aspect moins extraordinaire mais tout aussi fondamental du carpe diem est le domaine relationnel. Le sage qui use du temps sait que la meilleure façon d’aimer fort et vrai, c’est d’aimer et d’affectionner ici et maintenant car rien ne dit que demain l’autre me sera encore. Et même, en cas de certitude de notre amour, pourquoi me priver et priver ma bien-aimée de mon amour au présent! Dans l’équation de l’amour, manquer à l’affection au présent, consiste à brimer un bonheur possible dans un monde si brutal et rudoyant, où le bonheur est une denrée rarissime. Nous sommes donc logiquement et sentimentalement sommés de profiter du présent pour communiquer toute notre affection à ceux et celles que nous aimons et estimons. En amour, sachons pleinement nous donner et recevoir au présent ce qu’il nous est donné de vivre aujourd’hui et maintenant car rien ne dit que demain, cet être aimé nous sera encore disponible ou même disposé. Le regret de ne plus avoir, de ne plus pouvoir est de loin plus consolable et de toute manière, bien moins ravageur que le remords de n’avoir pas osé, de n’avoir rien fait…
En guise de clausule
Le carpe diem reste l’univers du pouvoir être où la capacité de rupture et de concevoir de nouvelles perspectives rend l’homme apte à construire son temps dans le temps général qui s’en va mollement au fleuve des impermanences, s’épuise au feu dévorant des finitudes. Le cueilleur du temps a l’ethos du conquérant de soi avec l’envergure de l’homme libre qui choisit sa conquête. En quelque domaine de son interprétation, le carpe diem est la motivation de la conscience humaine pour l’implication actuelle afin de briser toutes formes d’inhibition tout en sachant néanmoins bien mesurer l’action tant au pied de sa faisabilité concrète qu’au niveau des valeurs logique et morale qu’elle met en jeu au filtre d’une axiologie rigoureuse. Le temps est, ne l’oublions point, l’unité de mesure de la vie qui se compte par jours et années dans notre cours existentiel ici-bas. Bien assumer et employer son temps, c’est savoir bien vivre en fertilisant le hic et le nunc tout en projetant le devenir en conquérant de soi.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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