Par Camille Loty Malebranche
La discussion peut être décrite comme l’intersubjectivité herméneutique d’au moins deux consciences humaines sur un étant qu’elles prennent comme matière à débat.
L’idée, ce fruit du jugement conclusif du processus de la pensée, advient quand une perception suffisamment mûrie, devient conception d’un être ou d’un fait dans la conscience humaine. La discussion vraie, la bonne et fructueuse confrontation peut parfois y contribuer, sauf en cas de conviction. Car la conviction est certitude qui s’enracine non dans le seul entendement mais dans le mode de vie et de projection de soi de la personne humaine. Alors que la discussion est plus proche de l’évidence que de la certitude dont elle est le butoir en tant qu’elle émane précisément des zones d’ombre, des parts d’incertitude. La seule voie d’élimination d’une conviction, est solitaire solipsiste dans un travail personnel de maturation et d’expurgation du sujet humain se rendant compte par lui-même d’une fausseté de l’objet de sa conviction.
Cela dit, loin du cocon restreint de nos convictions quid de nos perceptions mises en discussion? Discuter, c’est à priori admettre que le sujet dont on discute, est vaste et plural et que la connaissance de son essence peut dépasser la simple perception personnelle ou collective qu’on en a; discuter, c’est donc envisager la véracité multiple d’un sujet et s’ouvrir à construire une vision mieux élaborée dudit sujet avec des autrui également concernés, si ces autrui ont des idées valables et non de pitoyables opinions de foule. Remarquons ici que tout objet idéel ou matériel devient sujet une fois reconnu commun entre interlocuteurs et mis en discussion, en tant qu’il est pris par la conscience et les représentations humaines qui lui enlèvent sa simple existence de fait, sa factualité immédiate pour en faire un possible pour la définition, la description, la signification. D’où, le but de toute vraie discussion, c’est d’élaborer du sens partagé en dépassant les limites et subjectivités individuelles ou partisanes de signification.
La discussion vraie n’existe que lorsqu’au moins deux perceptions des idées ou des faits sont considérées des possibilités et non des certitudes par leurs porteurs; la discussion s’étaie alors par le besoin de dialogue des observateurs analystes afin d’y confronter les forces et les limites de leurs perçus pour la meilleure saisie possible. En ces cas décents et bénéfiques de la discussion, celle-ci constitue littéralement « le choc des idées » en tant qu’écoute réciproque des perceptions qui servira de fondement à une conception, c'est-à-dire une perception bien mieux élaborée par la problématisation des deux jugements mis en débat à travers la discussion. Par ailleurs, il est essentiel de comprendre que lorsqu’il s’agit de conception d’un art de vivre, celle-ci étant une chaîne de perceptions devenues conviction avec un faciès de certitude comme en morale, en politique, en religion où c’est une philosophie de vie ou d’action, il n’y a pas de discussion possible.
Si une conviction implique le contexte du vivre en commun social, il peut y avoir, dans le meilleur des cas, un dialogue non de découverte de la vérité par la fusion des acquis idéels comme dans deux perceptions, mais une quête d’apaisement au cœur du mitsein (vivre avec) qu’est la société. Là, la tolérance et le partage sur ce qui, des deux convictions en présence, peut être fondu dans un contexte de vivre ensemble, préviendra de regrettables conflits et violences. Hors cette démarche de sagesse pour la coexistence tolérée, c’est la guerre et le bannissement du vaincu par le vainqueur accaparant tout l’espace, qui s’en suivra. Car les convictions quelles qu’elles soient, ne se résolvent pas à limiter elles-mêmes leur empan pour céder une quelconque place à leur contraire qui est souvent leur ennemie. Dans la perspective personnelle, les convictions fortes n’excluent pas l’amitié vraie si les interlocuteurs différemment convaincus ont d’autres sphères de rencontre idéelles et d’autres centres d’intérêts communs. Pour ce faire, il leur faudra la sagesse intellectuelle et la volonté humaine de rester amis et de se limiter aux points où ils se retrouvent par delà leur altérité radicale de conceptions aux antipodes l’une de l’autre.
La mauvaise foi, vectrice de dispute et ennemie mortelle de la bonne discussion…
Par ailleurs, dans son factuel, son cours, la discussion, ce principe de l’échange idéel pour la complétude possible de la vérité voire sa découverte en certains cas, n’est possible qu’en contexte de probité réciproque des interlocuteurs.
Contre l’ignorance, oui, on peut agir; mais la mauvaise foi est le carcan des méchants dont ils ne peuvent se libérer eux-mêmes. La mauvaise foi est un mélange d’hypocrisie et de méchanceté dans le jugement d’une conscience humaine souvent complexée qui refuse délibérément la vérité par mesquinerie. La mauvaise foi est un heurtoir à toute discussion car corruption de la conscience juge qui pourrait partager sainement un point de vue avec force sans vouloir détruire la vérité si celle-ci est ailleurs. La mauvaise foi a, non pas des convictions, loin s’en faut, mais des diktats rageurs de déments ou de fanatiques trop primitifs dans leur bêtise pour échanger quoi que ce soit.
La mauvaise foi est la tare sordide du pharisaïsme intellectuel. L’individu de mauvaise foi, est un proférateur de la vacuité qui fera toujours tout son possible pour noyer dans son vide personnel, la substantielle contribution de l’intelligence d’autrui à la construction d’une vision permettant d’appréhender la vérité des choses. Et, quand la mauvaise foi s’allie à la sottise, c’est le désolant et pitoyable spectacle de l’autodécomposition de l’entendement que donne l’histrion fanatique.
Entre esprits dignes et élevés, tournés vers le plus de sens bien cerné pour le moins d’erreurs et de contresens possibles - en ce bas monde de voilement des vérités profondes toujours à chercher et à appréhender dans leurs nuances, leur vérité pluridimensionnelle loin des amalgames et des idées arrêtées ou des dogmes laïcs de l’idéologie - la discussion demeure l’art de l’élévation réciproque au nom du partage des parts de savoirs ainsi fondus connaissances pour ce que nous appelons "l’internutrition cognitive", c’est-à-dire l’enrichissement de l’homme par l’homme.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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