Par Camille Loty Malebranche
La sensibilité est cette configuration d'affects fonctionnant en constitutifs de l'intérieur conscientiel d'un homme, qui tient lieu d'univers immatériel qui habite et meut un homme. La sensibilité est le mode de la saisie à la fois imaginaire et factuelle du monde, mode de saisie qui prédispose la conscience humaine pensante et agissante dans sa conduite, vu les sentiments qui en émanent.
La sensibilité est en la conscience humaine, le monde des perceptions éprouvées qui s’expriment en conceptions dans le penser et l’agir. La sensibilité se corse par l’essor d’une imprégnation forte de la conscience à travers une expérience intérieure ou extérieure s’enracinant à travers un vécu ou un idéal. De quelque part que vienne cette imprégnation conscientielle. La sensibilité reste néanmoins un apanage subjectif de l’homme, une dimension fortement prédisposante quant aux voies du comportement du sujet. La sensibilité constitue un foyer où naissent et se nourrissent les sentiments et leur passage aux actes. Et pour dire clair, nos sentiments sont typiques des sortes de sensibilités qu’ils extériorisent et révèlent au grand jour. La sensibilité est une antichambre imaginale et affective de la réalité, étant la vie intérieure éprouvée par l’être humain. En adjectivant les sensibilités, l’on peut facilement se rendre compte de leur propension à la parturition des sentiments qu’elles sous-tendent. Par exemple si j’évoque « la sensibilité communautariste d’un individu » cela nous prépare à comprendre son sentiment de générosité envers les autres surtout les moins fortunés, même si ledit individu ne relève d’aucun mouvement officiel de communautarisme, même si cet individu est un mauvais triton sur d’autres aspects de sa vie privée ou sociale... La sensibilité fasciste de tel journaliste explique le sentiment grivois de haine que parfois il dégueule par ses acrimonies contre les moins nantis de la société. Remarquez que la sensibilité peut être aussi étendue à des institutions ou personnes morales. À titre d’exemple de sensibilité institutionnelle voire de configuration institutionnelle disons ici : La sensibilité ploutocratique de l’État capitaliste contemporain mine la démocratie!
Dans le domaine de la création, l’on comprend la place centrale occupée par la sensibilité et toutes les théories auxquelles cette dernière donne lieu en ce qu’on a raison d’appeler l’esthétique. Esthétique, c’est-à-dire étude de la sensibilité créatrice en art, qui investigue les profondeurs des tréfonds humains accouchant d’œuvres de communication parallèle aux cours langagiers fortement solipsistes pour exprimer leur vécu intérieur. On sait que cet intérieur humain se véhicule par des sentiments émanant de la sensibilité. Sentiments qui, puissamment, déterminent les œuvres. Sentiments de toutes sortes : Amour, haine, compassion, froideur, noblesse ou platitude; générosité révolutionnaire ou mesquinerie réactionnaire devant l’injustice sociale; respect du partenaire sexuel ou vilenie irrespectueuse; égoïsme érotique ou partage prévenant; délicatesse amoureuse ou vulgarité assouvissante; fierté, petitesse, enthousiasme, désespoir, mentalité servile de dominé… L’œuvre est un écran où se déroulent les scènes lisibles ou codées de la personnalité de l’artiste. Et, à défaut de l’art, le commun, lui, se présente via toutes sortes d’actes dont la chaîne forme l’action de sa vie selon sa ou ses sensibilités dominantes!
La sensibilité trempe aux deux grands champs de notre réactivité mentale, le rationnel et l’émotionnel. Dans le champ cognitif et réflexif la raison l’emporte sur l’émotion sans l’éclipser : la science de Newton, la philosophie de Platon, la découverte d’un trésor archéologique, illustrent bien cela. Là, la raison, soit scientifique soit philosophique, prime l’émotion sans pour autant l’ignorer... Par contre, en spiritualité ou en art, c’est l’émotion qui prime. La vibration d’un opéra qui fait pleurer tous, même la cantatrice ou la ferveur touchante d’une prière qui déclenche le trémoussement mystique, ce frémissement que Rudolf Otto dans sa théorie du sacré appelle le "numineux" comme lieu de l'affect sacré hautement fascinatoire imprégnant l'homme en présence du mystère divin, un affect allant jusqu'au "tremendum" sorte de tremblement sacré sous le transport psychique de la spiritualité, prouvent que la rationalité et sa froideur cognitive et objective n’empêche guère l’homme, malgré le caractère rationnel occupant une forte part de son essence, d’être emporté de l’extase et du tressaillement de la sensibilité. Et, même dans des choses beaucoup moins élevées comme le chant des partisans à un match de foot gagné sur l’adversaire, la sensibilité imprègne l’humain. La sensibilité accapare donc les domaines de notre intériorité et se déclenche en sentiments avec force de passions bonnes ou mauvaises, bienveillantes ou criminelles car, hélas, les crimes aussi, le génocide hutu, les massacres nazis comme les hécatombes sionistes proviennent de sensibilités abjectement malsaines charriant leur fleuve d’émotions débridées, déshumanisées.
Comme je l’ai déjà soutenu ailleurs, si les mobiles de nos sensibilités sont parfois difficilement élucidables, nous connaissons leurs produits en nous que sont les sentiments. C’est donc aux sentiments que l’homme doit porter soin, faire attention pour ne pas basculer dans le monstrueux en transcendant le négatif tel la haine, la mesquinerie, et leur funeste conséquence, en travaillant son être pour le grand et le sublime. Porter soin aux sentiments jusqu’à atteindre la sensibilité elle-même qui les sous-tend et changer ainsi de subjectivité. Car l’évolution de la personne humaine passe par l’éducation tant objective que subjective. L’éducation objective vise l’extrinsèque du fonctionnement social qu’apporte l’instruction alors que l’éducation subjective, si souvent négligée, est construction intrinsèque et croissance dans l’être que seul l’homme peut s’octroyer selon son niveau de conscience.
Nous ne contrôlons pas nos sensibilités mais nous avons le pouvoir sur ces formes de leurs expressions intérieures activement extériorisées en nos actes que sont nos sentiments; à nous donc d’y prendre garde!
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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