Par Camille Loty Malebranche
Il est de ces concepts qui vous tombent des mains par un besoin de précision et de nuance, concept que vous sentez et que vous ne définissez avec élaboration qu’après coup! Les concepts d’hétérocratie et d'ipsocratie sont de ceux-là. Je nomme hétérocratie, le mode de pouvoir exercé par les tenants des structures de contrôle mental, qui façonnent le comportement des patients de leur pouvoir en hétéronomie. Cette hétérocratie appelle donc comme antonyme logique, l'ipsocratie qui est l'affirmation autonome forte de l'ipséité (c'est-à-dire du sujet en lui-même et par lui-même). Car l'hétéronomie perceptible dans la pensée et l’action - ces deux attributs d’autodéfinition de l’homme - est le produit d'une expropriation de l’individu par les forces systémiques, lui enlevant toute souveraineté, toute spontanéité, privant ainsi l'homme de son autonomie sans qu’il s’en rende compte.
Il nous faut mettre en garde le lecteur de la tentation de voir en l’hétérocratie, vu la morphologie, l’antithèse de l’autocratie qui est, comme on le sait, stricto sensu un mode de dictature politique exercé par un homme seul plutôt que par une structure. Car l’autocrate - se définissant et s’intronisant lui-même système et institution, homme-État qui tend à faire disparaître toute structure qui n’est pas directement au service répressif de son pouvoir - est un grand protagoniste d'hétérocratie humaine et sociale en tant qu'il prive ses gouvernés de leur liberté, leur souveraineté de conscience, leur ipsocratie! Et, l'autocrate, esclave lui-même de la peur de la révolte de ses victimes, comme tout ennemi de la liberté, n'est donc en rien un ipsocrate!
Les exemples de formes d’hétérocraties ne manquent pas : la dictature hiératique où des religieux, des prêtres ou autres dignitaires de cultes se proclament envoyés d’un dieu pour régner politiquement sur les hommes, est de la théocratie; la dictature d’une oligarchie où quelques riches accaparent le pouvoir d’État par la finance, en se cachant derrière des politiciens à leur service, est de la ploutocratie donc une hétérocratie des masses orchestrée par quelques riches! On a, par ailleurs, une autre forme de dictature, imaginée par Platon, qui s’appliquerait aux empires notamment celui des despotes militaires se couvrant de médailles et d’« honneur » au détriment de leurs conquis, je vois ici un monstre comme Jules César, c’est la timarchie. Dans le cas de César, cette quête de richesses et d'honneurs par la prédation fut portée à travers une stratocratie conquérante, exterminatrice d'innombrables nations et annonciatrice de l'effacement de la république et du seuil de démocratie qui lui est inhérente, pour l'établissement de l'empire et de sa dictature malgré la grande science du droit que l'empire romain hébergera et autorisera.
La place laissée à une ipsocratie vraie est très exiguë dans un monde qui instrumentalise l'homme par toutes sortes de structures. Et, même en fignolant les effets pervers d'un individualisme excentrique, les démocraties factices d'aujourd'hui, ont substitué l'égotisme asservi par les mensonges de l'idéologie à la lumière sereine de l'ipsocratie effective. La démocratie actuelle en fignolant chez l'individu la mentalité de horde électoraliste et laborieuse qui accepte tout pour être accepté, tue à la fois le pouvoir collectif qui est politique, et la souveraineté singulière de la personne qui est suilogique, la suilogie est, de notre acception définitionnelle, la théorie du sujet qu'est l'homme, un sujet perçu selon son pouvoir individuel non astreint à la manipulation culturelle et idéologique pérenne ou de mode. Un sujet outillé d'informations pour le savoir mais jamais pressuré par des forces sociales, celles-ci fussent-elles culturelles, politiques ou économiques.
Pour revenir à l’hétérocratie, il est essentiel d’y déceler l’exercice d’un pouvoir systémique pernicieux qui, subtilement, domine, manipule l’individu tout en lui laissant croire qu’il est maître de son action voire de son destin, le faisant se représenter son état hétéronome comme normal voire laudatif. Il est aussi pertinent de comprendre que les profiteurs de cette hétérocratie structurelle, même s’ils en profitent jusqu’à en être repus avec excès et aux extrêmes de l’indécence, sont eux aussi littéralement hétéronomes dans le système qu’ils se sont créé et qu’ils ne peuvent attaquer voire quitter en certains cas, sans subir la frappe de tous leurs congénères soit par ostracisme soit par élimination de leur personne stigmatisée comme dangereuse, dénigreuse de l’ordre. L’on a de ces cas de grands hiérarques, éminents dignitaires d’une structure, qui, même ayant évolué sur le plan moral personnel, sont obligés de tout taire au sujet des forfaits qui les ont poussés à désister, condamnés qu’ils sont, comme par un pacte diabolique, à défendre à vie le système qu’ils ont pourtant fini par rejeter. Pouvez-vous imaginer un pape, un général démissionnaire, dénoncer les horreurs internes de la structure dont ils viennent, sauf des banalités inoffensives connues de tous, sans courir de terribles dangers?! Par ailleurs, aux temps actuels, l’idéologie avec son art de désinformation et de propagande, est l’instance suprême de l’hétérocratie qu’infligent les maîtres profiteurs des institutions de pouvoir systémique, adroits vulgarophiles, c’est-à-dire sachant réduire le peuple en foule manipulable et manipulée. Les hétérocrates sont oligarques qui savent utiliser adroitement, sciemment les structures via leur politique institutionnelle ou d’État pour régner aux dépens des multitudes.
L’hétérocratie n’a de rempart que la force ipsocratique de caractère spirituel, intellectuel, moral affirmant l’autonomie humaine et citoyenne en pensée et action tant personnelles que civiques et politiques contre toute manipulation orchestrée par les tenants de l’institution sociale et de l’État. Le vainqueur de l’hétérocratie et des hétérocrates, c’est l’homme de suprématie conscientielle, l’homme ipsocrate qui s’assume personne-sujet et citoyen envers et contre tous; refusant d’être simple pion du nombre ou pitoyable membre de la foule au gré des diktats idéologiques de l’institution sociale ou étatique sacralisée à travers l’ordre systémique.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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