Par Camille Loty Malebranche
(Présentation critique du film La Raison d'État que je vous convie à visionner sous le texte.)
Le film d’André Cayatte, La Raison d’État, que je vous invite à voir ou revoir, constitue un jugement moral sans ambages, des procédés mortifères de la Raison d’État quand elle sévit. Cayatte choisit l’univers macabre du commerce sans scrupule des armes à tout acheteur prêt à débourser pour s'en procurer : États dictatorial et groupes armés. Un négoce vénal de ces outils de guerre et de mort, par des gouvernants d’État cupides, immondes marchands de canons, vulgaires trafiquants de massacres, qui se permettent de parler de paix en s’érigeant humanistes civilisateurs officiels du monde qu’ils ne cessent d’ensanglanter et d’endeuiller par leurs armes créées et vendues à tous venants : les dictateurs bellicistes sanguinaires et leurs opposants exterminateurs sans scrupules. Quand dans le film, l’État français se voit mis à mal par la dénonciation que se prépare à faire un authentique défenseur de la paix, c’est une chaîne de mort frappant l’importun dénonciateur et son amie ayant pris la relève à son assassinat camouflé en accident. Le message est clair, un peu comme la menace de mort qui guette aujourd’hui Assange et Snowdon, l’État, cette kunée des grands criminels qui mènent les peuples ne souffre pas d’être démasqué, présenté tel qu’en lui-même dans ses horreurs loin des sortes d’hagiographies que lui vouent ses idéologues.
La manière mensongère et barbare d’une France soi disant porte-étendard de civilisation et des droits de l’homme, qui patauge dans le commerce illégal d’armes à deux antagonistes d’une guerre civile en Afrique, constitue la toile de fond de cette diégèse politique mémorable du grand écran. À la fois rapace et vautour, prédateur et charognard selon les intérêts lugubres du militaro-industriel, c’est donc une posture héracléenne c’est-à-dire cette sensibilité du délirant de puissance qui se croit tout permis, un peu comme Héraclès croyant par la force libérer le coupable Prométhée subissant les conséquences de sa révolte contre le Créateur et donc contre l’essence, la vérité de l’univers, cet autre nom de la dimension tangible de la Création. En effet, la raison d’État, est construction idéologique, mensonge peaufiné pour dissimuler les vraies motivations et méthodes du Moloch étatique.
Raison d’État, délire des tenants des structures du pouvoir, se prenant pour des dieux à l’Olympe de l’action politique où ils distillent leur flegmatique arrogance en bernant leurs propres peuples tout en ravageant et colonisant les pays structurellement plus faibles. Raison d’État de la France au temps encore présent de la françafrique mais aussi de tous ces États voyous impérialistes du nord s’adjugeant le droit de perpétrer hécatombes, génocides, famines et épidémies dans la complicité des criminels d’État du sud instrumentalisés par le nord qui entretient les conflits dont il s’enrichit éhonté avec la froideur du calculateur prêt à mutiler l’humanité entière pour s’enrichir et régner. Le film d’André Cayatte n’est pas sans évoquer le terrorisme occidental, l’ambivalence des étasuniens utilisant et combattant au nom de la raison d’État les extrémistes religieux. Raison d’État étasunienne dont, ces jours-ci, la révélation révoltante des méthodes de torture de la C.i.a. après l’invasion de l’Irak sous les prétextes qu’on connaît, révélation de l’extrême sauvagerie malgré les édulcorations avérées des tenants de la démocratie mondiale en plein délire héracléen de cautionnement d’une liberté sans limite, cette liberté agressive et anomique idéologiquement fondée, justifiée par la force garante de l’impunité des grands coupables. Raison d’État, aliénation morale, délire étatico-institutionnel d’humains d’être dieux sans et contre Dieu…
À façonner un monde, une weltanschauung par la force, la raison d’État s’avère essentiellement (et non contingemment) déraisonnable et inhumaine, puisque logiquement, la raison véritable ne peut être qu’à l’échelle humaine, cette mesure du rationnel, cet espace du juste raisonnable, où le bien de l’homme doit être la boussole du jugement. Tout ce qui, logiquement justifie la souffrance humaine, doit être honni et haï comme déraison monstrueuse. Lorsque les États dans leur rage de domination et de prédation politique et économique se croient des supplétifs de Dieu, ce n’est que démence meurtrière et liberticide, crapulerie violente et violation assassine des droits inaliénables de l’homme, qui en sourdent tels des gaz toxiques empoisonnant la planète.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE