Par Camille Loty Malebranche
Question à la fois téléologique et eschatologique, question du bon calculateur existentiel, que celle que le Christ pose sur la conquête de soi, cette poursuite du sens ontologique, cette fin qu'un homme considère comme œuvre et couronnement de sa vie, idéal auquel l'individu consacre son existence! «Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il doit y perdre son être?» nous dit le Sauveur...
Jésus fut le solitaire, l’homme jamais compris, victime de toutes les confusions perverses et aberrations logiques de ses contemporains et de la plupart des soi disant églises qui se réclament de son nom en ouvrant boutique du religieux. Dans un monde où les capitulations spirituelles sont légion, aussi innombrables que les occasions de chute, les tentations, les subornations et les ostentations fallacieuses de puissance et de grandeur, la question du Christ pose le problème suprême profondément et hautement métaphysique, celle de l’homme dans son assumation de l’être. La liberté, le choix, l’expression de la volonté… Ici, la certitude et l’évidence; la foi et l’intuition, tout ce qui sous-tend la saisie subjective de la révélation intérieure, rejoint la théophanie qu’est, d’abord pour lui-même, l’homme en tant que créature et ensuite, toute la Création, cette signature de Dieu, qui nous englobe dans sa totalité tout en nous laissant voir ses éléments.
Celui qui vit sans jamais retrouver au fond de soi l’appel fort, présent, pénétrant des profondeurs, de l'intuition du sens, est déjà spirituellement moribond, un quasi néant errant, une sorte de non être métaphysique dans le vacuum de toute intériorité saine qu'est le monde vil, grossier, illusoire des apparences. L’insensibilité métaphysique ou simplement intuitionnelle n’est pas juste une infirmité de l’esprit, car si elle persiste, elle devient une vraie mort à l’esprit, mort annoncée de l’esprit par absence à soi. Car l’inconscience par excès de sensorialité et fixation sur l’extériorité, est un lent enfoncement dans l’effacement. Être inconscient à l’échelle de l’hypostase-esprit que nous sommes, un peu à l’instar du somatique, c’est comme être comateux, bien pire qu’être frappé de cessation de certaines sensibilités ou d’un trouble de somesthésie. C’est littéralement être privé de soi-même. La vérité intelligible de l’esprit est nécessairement intelligée pour les consciences spirituellement éveillées. C’est là, l’état naturel de l’homme que la surenchère d’extraversion finit par enfouir et rendre introuvable.
Une humanité aliénée métaphysique, parce que focalisée sur l’extérieur et les choses, totalement déviée de tout rapport sain et vrai à soi, finit par se dénier elle-même au plan spirituel en se fourvoyant dans les abîmes de la superficialité sensible. Qui refuse l’intelligible absolu intelligé en son for intérieur méprisé et enfoui par mauvaise foi de la conscience rayant sa perception intérieure du soi, pour assouvir sans résister, les moindres penchants de la chair, abandonne lui-même ses prérogatives d’esprit. Là, le péché tueur d'esprit, péché contre le Saint-Esprit dirait Jésus, est la mise à quia de la conscience spirituelle pour la charnalité des pulsions primaires… Péché donc d’abord contre soi-même et sa vérité humaine! Car la vie de l’homme cesse d’être en congruence avec ses revendications espécielles de dignité globale, si elle capitule devant l’animalité envahissante de sa matérialité organique.
Jésus propose à l’humanité un mode de regard et de vie au-delà du fatum de défaite et d’échec qui semble fatalement ponctuer le vivant. Le christianisme est l’entéléchie complétive du judaïsme, entéléchie où Yahvé manifeste la finalité de son amour par la résurrection et la rédemption glorieuse des esprits qui sont à Lui. Ressusciter pour l'esprit, c'est trouver Dieu, sa Source émanante, loin de qui tout esprit finit par disparaître.
Le christianisme est cette surrationalité lucide et sereine, cette excentricité saine et victorieuse qui surpasse la simple raison nécessairement figée sur le rigide du réel. Le yahviste chrétien sait que le Dieu qui a tout créé, peut tout changer n’importe quand pour faire du bien aux siens. D’où l’exaltante surrationalité des yahvistes puis des yahvistes chrétiens de tous les temps. Surrationalité d’Abraham dans l’épisode du sacrifice de son fils en croyant que son Dieu le lui restituerait au-delà de l’holocauste. Surrationalité des hommes de Josué, renversant à coups de trompettes, les murs de Jéricho. Surrationalité de Marie Madeleine croyant à la résurrection de Lazare et qui, par la foi, comme le promet Jésus, a vu la gloire de Dieu ressuscitant son frère mort et inhumé. Surrationalité de Moïse devant la mer rouge, qui savait que face à l’impossible, il est un Dieu, Maître des univers, qui lui fera un chemin à travers les eaux contre le défi de l’adversité des éléments. Surrationalité suprême de Jésus lui-même, qui s’est livré à la mort de la croix avec la certitude inébranlable que le Père dont il est le Verbe incarné, le ramènerait du tombeau, vivant et glorieux. En vérité, nul ne peut être à Dieu sans la surrationalité caractéristique de la foi qui, dans les circonstances ingérables, sait que la victoire sur les obstacles infranchissables par l’homme, lui est garantie en Dieu, Esprit, Père de l’esprit qu’est l’humain, pour qui, il ne saurait y avoir de limites.
Revenons à la vanité superfétatoire de la conquête du sensible au détriment de la sphère supérieure de l’esprit, que fustige Jésus dans son apophtegme homilétique. L’esprit est en l’homme le seul stade proprement métaphysique, étant celui de l’au-delà de la chair et du fini, hypostase la plus puissante et ultralucide capable de surrationalité qui lui apprend à user pleinement du monde, à combattre pour le bien temporel sans jamais perdre de vue que le destin qui passe par le monde, va au-delà du monde et est l’apanage strict de l’esprit fils et image de Dieu.
Dans cette surrationalité dont le nom n’est autre que la foi, l’homme sait que malgré tous ses péchés, toutes ses chutes, le sang versé du Christ Rédempteur, lui donne accès au Dieu de la vie éternelle, seul destin sensé pour l’esprit au-delà de la matière, seule conquête qui dure éternellement. Là, les naufragés du sensible, les aveugles du réel, les taupes somatiques, peuvent s’en moquer dans leur aliénation métaphysique - leur perdition ontologique - le mystère de l’homme, le sens de son apparition et de sa destinée, reste à l’échelle surrationnelle de la foi selon le plan divin révélé par le Christ.
Alors que les loups et les chacals ravisseurs dispersent les troupeaux ecclésiaux et mentent aux peuples au nom des empires, les babylones déchues de la religion formelle formaliste doivent être mises au ban par les consciences spirituelles imbues de l’enseignement christique qui proclame :
« Ni sur la montagne ni au temple, car l’heure vient, est déjà venue où le véritable adorateur adorera Dieu en Esprit en Vérité ».
En effet, par delà la bigoterie oiseuse des excès de rites, et le charabia des litanies et des pèlerinages teintés de pompes cultuelles cérémonielles, le véritable croyant sert Dieu au fond de soi dans la fusion spirituelle de l'esprit qu'il est avec le Dieu de son origine!
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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