Par Camille Loty Malebranche
Décontextualiser un texte ou un fait, c’est en altérer volontairement l’esprit pour mésuser respectivement de sa lettre et de sa portée circonstancielle. C’est tuer le sens et assassiner la signification par une explication ectopique. C’est donc établir une interprétation hors-champ, interprétation scélérate pour intoxiquer l’intelligence d’autrui, c’est faire de l’herméneutique téméraire et délibérément déviante, c’est façonner de la désignification pour dérouter le bon sens en aliénant le sens.
Dans l’évangile, le tentateur immonde a essayé de tenter le Christ en évoquant, une vérité absolue, celle de la protection divine du croyant, mais en prenant soin de la décontextualiser, de la délier de son référent pour l’inscrire dans une perspective littérale, un contexte d’exhibitionnisme où le Fils de Dieu, devrait montrer sa force en se jetant contre des pierres, accomplissant un miracle comme un saltimbanque thaumaturge, pour assouvir les bas instincts d’un esprit dégénéré qui pousse de nombreux humains à l’esbroufe, à la capitalisation du paraître. L’on comprend que le Christ l’ait expédié au vauvert de ses enfers et ténèbres, ce, non sans le nommer ‘satan’ c'est-à-dire ennemi de la Vérité, esclave et prôneur de l’ordre mortel de mensonge métaphysique.
La décontextualisation est la plus maligne et perverse des manipulations logiques du sens car elle garde tous les attraits et aspects de la vérité, pire que le mensonge avéré sur un fait constatable ou que les demi-vérités où le trompeur brasse son mensonge à des faits vrais pour semer la confusion. Car la décontextualisation, elle, joue à la fois avec l’émotion, le besoin, le niveau d’abstraction intellectuelle de sa cible face au jugement logique de la modalité aléthique de celle-ci. C’est pourquoi, sur un non averti intellectuellement, émotionnellement et spirituellement outillé la décontextualisation est extrêmement efficace à induire en erreur. Là où une demi-vérité est rapidement démontrable, la décontextualisation en omettant de préciser le contexte de l’argutie d’un locuteur, semble dire vrai. Sauf en science pure, mathématique où les contextes sont clairement définis par la référence aux ensembles, dans les situations courantes de la vie, et, à fortiori dans le champ métaphysique et religieux, la possibilité est immense pour un locuteur décontextualisateur qui veut rendre insoupçonné, le spécieux de son idée émise en décontextualisant le mot vis-à-vis de l’occurrence. Seuls les esprits préparés à analyser pour discerner, peuvent déjouer la manipulation venant de la décontextualisation. Et c’est pourquoi les chefs religieux, les politiciens, les mauvais parents, tous les crapuleux meneurs d’hommes, colons, impérialistes, tous les ignominieux faiseurs obsédés d’empires, avides de pouvoir, sont des rois de la décontextualisation rompus à l’art macabre et sordide de gruger les hommes et les peuples.
Le décontextualisateur est un spécialiste idéologue en absolutisme là où c’est relatif, cela est courant en religion sociale, de fait, avoué ou non, il est toujours un certain fondamentalisme religieux dans l’herméneutique des Écritures, qui efface les nuances dérangeantes et assoit l’autorité hiératico-institutionnelle. Hormis les commandements concernant la stricte et intime relation de l’homme avec Dieu, toute loi est contextuelle et conditionnelle : « tu ne voleras point, tu ne tueras point, honore ton père et ta mère » sont tous contextuels, posés relatifs au contexte idéal de leur essor mais pas absolus, sinon les prophètes et Moïse lui-même n’auraient pas tué les ennemis de Dieu et Rahab la prostituée ne serait pas bénie d’avoir menti pour sauver des juifs poursuivis pas plus que le rejeton d’un sataniste, n’aurait le droit de refuser de suivre son géniteur pervers et maudit… Comme la religion, l’État s’évertue à imposer une vision unique qu’il absolutise, essentialise comme le bien parfait de tous pour prévenir la désobéissance et empêcher la révolte en montant les majorités contre tout importun clairvoyant qui interrogerait le bien-fondé de certaines lois systémiques.
En vérité, la vérité n’est accessible qu’à quelques esprits ayant appris à exercer leur sagacité interrogeante et analytique à démasquer les manipulateurs et leur œuvre pernicieuse de mensonge. Il ne faut jamais oublier que la plus grande attention des dominateurs, des meneurs d’hommes de tous les temps, c’est de peaufiner des décontextualisations imperceptibles pour réifier leurs dominés. Un habile décontextualisateur idéologue de la logique des faits peut instiller en cas d'agression d'un peuple ou d'une ethnie, l'autopunition, l'autoblâme, tel l'autoracisme chez des ethnies maltraitées comme l'ont fait certains colons par la hiérarchisation des "races". Enseigner à la victime l'autodépréciation et la justification du sort subi des mains du bourreau, est une activité de sinistre décontextualisation.
Nous sommes devant la force idéologique qui moule le mental du grand nombre pour le pouvoir de quelques-uns. Encore une fois, l’idéologie oligarchique - tant dans la société globale que les sociétés spécifiques - par l’exubérance fascinatoire de ses arguments mirifiques sur l’appartenance égalitaire des membres à l’institution sociale et par la pléthore discursive décontextualisant le sens des rapports de classes, justifiant jusqu’à sa nocuité, fait légitimer par le grand nombre éberlué, l’inacceptable, le règne insensé des dominateurs, la tyrannie des prédateurs.
Maniement du sens par le langage pour formater les représentations collectives, manipulation de la conscience sociale, manœuvre de séduction tant par la persuasion à servir l’ordre systémique que par la dissuasion d’y contrevenir, la décontextualisation participe de la plus terrible des inimitiés contre l’humain, en ce qu’elle fait littéralement de son patient, la chose utilitaire des agents de l’idéologie.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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