Par Camille Loty Malebranche
La nature humaine comme nature métaphysique - nous entendons ici une nature autoréflexive capable de poser son propre être en jugement et de se projeter hors de l’immédiat du hic et du nunc pour se transcender dans le sens vers une fin qu’elle assume, une nature à dimension de sujet ni animale ni objectale - n’est pas vacuité mais substance en potentialité, elle reste à se définir par l’action et les choix de vie, et n’est donc ni bonne ni mauvaise à la naissance.
De son proverbial « l’homme est né bon, c’est la société qui le corrompt » Rousseau aura légué à la culture universelle un regard mélioratif sur la nature humaine essentiellement bonne par innéité. Pourtant, à y voir de plus près, l’être humain apparaît comme portant dès sa naissance les pulsions en sommeil qui détermineront son comportement dans le rapport à l’autre.
L’homme nouveau-né jusqu’à un certain âge où l’enfant agit sciemment en prenant non seulement conscience des conséquences de son comportement mais le choisit, est une conscience en précogitation qui ne pense pas ses actes et donc ne peut être jugé ni bon ni mauvais. Un acte posé n’est jugeable que s’il provient d’une conscience qui sait qu’elle le pose, son pourquoi, sa finalité et son impact sur soi et sur autrui. Nul n’aurait à l’idée de juger l’enfant d’un an pour avoir jeté le livre de son père dans la graisse. Le bon et le mauvais de l’homme commencent quand existe une pensée moralement consciente de son acte posé. L’homme nouveau-né est une conscience en friches non encore pleinement consciente de soi, une conscience en réactivité imitative qui n’agit pas mais réagit, une conscience en construction dans ce que nous appellerons la primitivité existentielle et expérimentale de l’homme.
Pour revenir à nos propos liminaires, disons que la nature humaine qui est esprit et chair en substance, porte en elle, en venant au monde, des forces de vie, lesquelles ultérieurement sont si souvent mal orientées, mal assumées qu’elles se manifestent pulsions déviantes de cette nature. Ainsi, de son premier vagissement extra-utérin à son dernier soupir, l’homme est une conscience en évolution tant immanente qu’extérieure. D’un côté, son propre âge, norme inhérente à sa propre temporalité le définit, de l’autre, les situations contingentes de toutes sortes, la famille, la société, la géographie, l’histoire, la culture, l’ethnie le marquent en le poussant à assumer sa nature. C’est donc cette complexité d’une nature duelle en route vers son ipséité à accomplir, nature prise dans toutes sortes de situations parfois choisies et souvent non choisies, qui est donc sommée de « se réussir ». Car si au fond de soi, l’homme ne se savait désigné pour une mission entéléchique, porteur d’accomplissement transcendant que son action procédant de sa pensée et son autoreprésentation se chargent de mettre en oeuvre, il n’y aurait ni morale, ni aucune projection possible sur le bien et sur le mal. La pulsion sexuelle immodérée et incontrôlée constitue une des pulsions immanentes les plus violentes, qui transforment parfois l’humain en animal primitif abandonnant tout de ses prétentions à une élévation spirituelle et simplement humaine. Dans les sociétés, ce sont les appels forts de la compétition interindividuelles et interclasses selon le clivage social, qui attisent des pulsions d’orgueil où l’homme écrase et utilise son semblable pour arriver à ses fins narcissiques voire égoïstes. La libido et l’égoïsme sont entre autres, des exemples achevés de l’intériorité et de l’extériorité qui servent ou desservent les stades d’évolution de la conscience.
Le fait du bien et du mal, la question morale donc, n’est éventuellement pas un cas d’innéité ou de culturalité mais un ensemble où configurent tous les aspects de la nature humaine. Et, si le problème moral ne fait advenir par nécessité l’existence immédiate d’un Dieu, il l’anticipe; car il est évident que l’axiologie morale, l’exigence et la laudation du bien contre le mal posent la question de l’intuition du sens, précisément d’un sens transcendant, de la transcendance d’une espèce dont même le plus vil des spécimens, la plus vilaine crapule a besoin de se justifier comme pour dire : « je n’ai pas trahi ma nature, je suis digne de mon essence humaine, mon humanité! ».
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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