Par Camille Loty Malebranche
(Du fraternel au sororal, l’axiologie langagière…)
En considérant l’adjectif ‘‘sororal’’ et son usage qualifiant l’acte de l’inceste où la langue évite habilement le mot fraternel, j’ai eu l’idée de parcourir l’aspect axiologique inhérent à nos manières de dire, d’exprimer, par delà les faits, les sentiments, les confinements situationnels qu’ils impriment en nous consciemment ou inconsciemment via le conditionnement culturel. L’adjectif sororal joint au substantif inceste, en qualifiant expressément l’acte sexuel d’un frère et d’une sœur, est éminemment éclairant par sa pertinence casuelle. Il signifie que le fraternel référant à la fraternité, cette chose tellement excellente qui excède le statut parental et le lien de sang, cette manière si souhaitable entre les humains et si spirituelle par sa pureté, ne pouvait se pâmer à qualifier l’interdit ni s’abaisser à être le prédicat d’un mal quasi abominable décrié et prohibé partout au point que Lévy Strauss dans une célèbre boutade, ait considéré la prohibition de l’inceste comme « naturelle », arguant de son universalité (seul le naturel étant universel) à travers les sociétés humaines.
Alors pour sauver la face du fraternel des camouflets de l’impureté incestueuse, la langue aura donc inventé, taillé comme sur mesure l’adjectif sororal pour désigner, juger et condamner l’acte maudit.
Neutralité expressive (le mode du langage neutre).
Le langage comporte un stade de neutralité où il exprime à travers ses cas et fonctions la « réalité » sans y déceler plus que son existence et ses conditions. Là, les mots et toute la structure du langage se bornent à désigner l’être référent du signifié sans y porter un jugement moral. D’où, les adjectifs désignant le positif ou le négatif sont, dans les occurrences ordinaires, inclus dans cette perspective du neutre langagier en tant que l’expression du positif ou du négatif n’y est que description d’une condition. Quand je dis « Une jolie fleur »; « Le souffre est odoriférant » je suis dans cette neutralité du jugement d’un être du réel et de sa condition, jugement qui n’est ni approbateur ni désapprobateur. Le mode axiologique du langage - l’adoratif, le laudatif, le mélioratif, le péjoratif - entre en scène quand les prédicats, les dénominations véhiculent non un simple constat qualificatif, un jugement de constatation sans prise de position, mais un jugement proclamateur d’approbation ou de désapprobation qui magnifie ou condamne à partir de valeurs logiques, ethniques, idéologiques et surtout, morales ou considérées telles. Dans certains cas, car tout jugement est casuel, un mot totalement neutre peut devenir péjoratif. Ainsi, pour des racistes, le nom d’un peuple infériorisé ou d’une ethnie haïe est péjoratif, le mot nègre, par exemple, en est une occurrence éclatante dans l’histoire de la civilisation voyoue et prédatrice de l’occident colonialiste et esclavagiste. Le mode axiologique du langage réfère à la valeur immanente à l’intentionnalité locutrice elle-même orchestrée par un code, un repère culturel.
Les stades axiologiques du langage…
L’adorativité, la laudativité, la méliorativité et la péjorativité peuvent être considérés comme modes et gradations axiologiques du langage.
Les expressions: cette ville n'est pas animée; une femme intelligente, un homme fort, un pays chaud ne sont nullement axiologiques, malgré la positivité ou la négativité de leur modalité d’adjectivation, puisqu’il s’agit de constat et non d’accusation morale. La laudation, la méliorativation, la péjoration comportent toujours un mode de jugement de valeur dans le rapport au monde et à l’action qualifiant l’adjectivé ou le désigné par un quelconque prédicat adjectival ou nominal. Les modes axiologiques du langage drainent donc une charge de jugement tacite voire l’idée ouverte d’une approbation ou d’un dénigrement pour indignité morale du péjoré, une sorte de blâme du désigné jugé dans l’expression. Par exemple, dans l’actuel phraséologie dénigrante de l’occident très idéologiquement médisant, le ressassement du vocable de « pays pauvres » apposé à des pays exploités par le même occident, finit par en faire une insulte, une désignation comme inférieurs et infrahumains des non nantis qui seraient inaptes à produire la richesse, d’où le mot pauvre devient péjoratif par l’activité des criminels hypocrites d’abord du colonialo-esclavagisme, actuellement néocolonialistes ouverts qui n’osent dire leur nom et leur sinistre responsabilité dans les malheurs du sud économique. De même, dire que madame X, individu lambda, est belle ou non belle, n’est guère axiologique parce que simple constat positif ou négatif qui n’est ni mélioratif ni péjoratif; alors que proclamer qu’Angela Merkel n’est pas une belle personne, devient foncièrement axiologique, car c’est de toute évidence un euphémisme de politesse qui évoque sa tronche non attrayante tout en portant probablement sur le caractère hideux de sa gouvernance jugée immonde, immorale, cruelle pour l’Europe des non riches, vu ses fonctions, vu son action politique sordide et désastreuse contre les moins nantis du continent et contre l’humanité…
Pour clore provisoirement ce regard sur l’axiologie dans le langage, je tiens à différencier le laudatif du mélioratif, en soulignant que les deux expriment l’approbation mais à des degrés fortement, catégoriellement différents. Le laudatif est non seulement le superlatif de l’approbation que comporte le mélioratif, mais aussi caractérise une catégorie de la supériorité essentialisée dans l’idéologie ou la religion institutionnelle, une révérence au dignitaire, une référence à l’hagiographique qui surclasse le simple meilleur par le supérieur devant qui le locuteur se décline en louanges; c’est le satisfecit admirateur qui se manifeste par attribution de titres de prestige voire d’apothéoses telles les appellations ridicules qui perdurent aujourd’hui encore dans les cours aristocratiques ou ecclésiastiques.
L’adorativité, quant à elle, est l’univers langagier réservé et voué strictement au sacré et au divin au point que tout autre usage qu’on en fait, constitue de l’idolâtrie. Le langage adoratif est donc exclusivement l’expression de la latrie, mode axiologique du langage appliqué par la créature au Créateur, lequel adorateur, s’exprimant en prière et adoration, dit « Mon DIEU ».
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
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