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Michel-Ange MOMPLAISIR



« UN HASARD BRIDÉ… »
(Hubert Reeves)


À Conrad Waddington (1905-1975), Theodosus Dobzhansky (1900-1975), biologistes tous les deux, et Patrick Glynn dans son A not-So-Random Universe, atténuent le rôle de Maître Hasard, porté en triomphe par Jacques Monod. Grichka et Igor Bogdanov, deux spécialistes contemporains en physique théorique, s’élèvent contre la thèse du hasard dans l’évolution.

Comment rendre vraiment compte « d’une aventure ontologique qui aurait fait surgir la vie comme un hasard de la matière, la conscience comme un hasard de la vie, et surtout l’esprit comme la chance imprévisible d’une évolution ténébreuse en sa profondeur et inventant la lumière à sa cime », se demande Pierre-Henri Simon. Aussi, la notion de hasard organisationnel introduite en 1931 par le médecin biologiste Henri Atland demeure-t-elle très discutable.
Naguère, dans la Théogonie d’Hésiode (VIIIe/VIIe s. av. JC), « avant tout fut Chaos ; puis Terre aux larges flancs, assise, sûre, à jamais offerte à tous les vivants, et Éros, le plus beau parmi les dieux immortels, celui qui rompt les membres et qui, dans la poitrine de tout dieu comme de tout homme, compte le cœur et le sage vouloir. Du Chaos naquit Érèbe et la noire nuit. Et de Nuit, à son tour, sortirent Ether et Lumière du Jour. » Ovide, dans Métamorphose (I, 7) décrit le chaos « comme une masse informe et confuse » Pourtant, à la lumière des travaux des physiciens James A. Yorke et Tien-Yien Li en 1975, le chaos n’est « qu’apparemment aléatoire. » « Un système d’équations à petit nombre de degrés de liberté, sans que le hasard n’entra dans la formulation de ces lois », déclarent-ils. Les « structures dissipatives » de Prigogine représentent une forme d’organisation à partir du désordre. Rappelons que de leur temps, les Grecs savaient que l’univers constitué est kosmos, en d’autres termes, ordre.






Donc, selon la « chaologie moderne », « un désordre bien ordonné que le chaos », déclare James Gleick. « Phénomènes de turbulence des systèmes à dépendance sensible aux conditions initiales » , ce chaos « cache des régularités que le calcul des probabilités dévoile », ajoute-t-il. Un chaos déterministe ! « J’ai besoin du chaos en moi pour enfanter une étoile dansante », s’exclamait Nietzsche.
Francesca Merlin pense que « l’épigénétique et l’incidence de l’environnement dans les mutations génétiques sont des nouveautés qui peuvent diminuer la part du hasard dans l’évolution. » Si, poursuit-elle, la dérive génétique (changement de la fréquence des allèles au sein des petites populations), aux conséquences imprévisibles, semble être imprédictible, « il se peut que cette perception soit fondée sur notre ignorance des détails d’un ensemble de phénomènes naturels. » Et, Merlin de conclure : « Il est impossible de trancher entre déterminisme pur et hasard pur en biologie. Certains aspects peuvent être indéterministes ou aléatoires, mais cela n’implique pas que l’ensemble de l’évolution est indéterminé. » En dépit de tout, le tychisme (du grec tychè, hasard), néologisme de Charles Sanders Pierce (1839-1914) soutenant la présence irréductible du hasard sans une contingence radicale dans l’évolutionnisme. Synéchisme, du grec sunekhein, être avec, le tychisme est compatible avec la stabilité des lois et l’ordre continu de la Nature.
Alors, qu’est-ce que la connaissance scientifique ?
André Lalande la définit dans le Vocabulaire technique et critique de la philosophie : « Toute organisation systématique des idées ou des faits dont l’être scientifique est constitué par leurs relations sériées à partir de symboles initiaux et dans la mesure où le langage organisé et progressif s’adapte aux phénomènes, les traduit et permet de les prévoir ou de les manier. » Aussi, la recherche du lien entre causalité et effet constitue-t-elle l’armature du déterminisme scientifique. Causa aequat effectum/La cause égale l’effet, disaient les Scolastique.
Pascale précise pour nous le déterminisme scientifique :« Toutes choses étant causées ou causantes, aidées ou aidantes, médiates ou immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensibles qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties. » Cependant, il existe des dérogations au déterminisme de la nécessité. C’est pourquoi selon Augustin Cournot « les événements amenés par la combinaison ou la rencontre d’autres événements qui appartiennent à des séries indépendantes les unes des autres sont ceux qu’on nomme événements fortuits ou des résultats du hasard. »
En voici un exemple tiré de la biologie évolutive. Au Silurien de l’Ère Primaire, il y a 340 millions d’années, les mammifères, marsupiaux et placentaires, représentaient une série évolutive en ligne droite, une orthogenèse, sur le Gondawana, ce super bloc continental formé par la fusion à l’époque de l’Afrique, de l’Amérique du Sud, de l’Antarctique, du Sud de l’Asie et de l’Australie. Au Trias du Secondaire, ce super bloc se disloqua. Les mammifères de l’Amérique du Sud furent alors isolés de ceux des autres continents.
Leur évolution ne se poursuivit pas dans le même sens que celui des autres espèces de l’Afrique, de l’Antarctique, du Sud de l’Asie, et de l’Australie. En outre, à la limite du Crétacé/Tertiaire, il y a 65 millions d’années, la surrection de l’Amérique Centrale (isthme du Panama, les Antilles, la naissance d’Haïti, bien entendu), permit le passage sélectif de centaines espèces de l’Amérique du Sud vers l’Amérique du Nord.
L’Amérique Centrale a joué le rôle de pont filtrant pour les Mammifères de l’Amérique du Sud qui émigraient vers l’Amérique du Nord. L’évolution des mammifères aux deux extrémités du continent américain divergea.
Nous sommes en présence du croisement de deux séries déterminées indépendantes, l’une relevant d’espèces animales en évolution, les mammifères marsupiaux, l’autre de la dynamique du Globe terrestre, la tectonique des plaques.
On a justement objecté aux protagonistes du hasard qu’un super observateur aurait été capable, à partir d’une étude soigneuse de ces deux séries indépendantes, de prédire ce fait attribué à un aléa, l’évolution divergente des mammifères marsupiaux et placentaires sur différents continents, l’Afrique, l’Antarctique, le Sud de l’Asie, l’Australie, l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Le hasard ne serait donc qu’un déterminisme camouflé, une nécessité déguisée.
D’ailleurs, Aristote opinait dans ce sens. Dans sa Physique (II, c. 5, 197a 33-34) il déclare : « La fortune et le hasard sont des causes par accident, relativement à des choses qui sont susceptibles de ne se produire ni absolument, ni la plupart du temps, et en outre, qui peuvent être produites en vue d’une fin. »
À partir de la physique d’Aristote, saint Thomas d’Aquin reprend la conception ci-dessus du Stagirite en l’exprimant en latin. Urumque scilicet fortuna et casus est causa per accidens in iis quae contingunt non sempliciter, id est neque semper neque frequenter ; et utrumque est in iis quae fiuntpropter aliquid.




En ce qui me concerne, le hasard de la biologie évolutive, s’il en existe un, il n’est, selon le mot de Hubert Reeves, qu’« un hasard bridé. » Il est « le masque apparent de l’endo-causalité partielle », c’est-à-dire une possibilité de choix « qui habite et caractérise la psychomatière. » Cette psychomatière est propre aux physiciens de l’École de Jean Émile Charon (1920-1998).
De l’avis de beaucoup de physiciens, le hasard ne peut être le Maître absolu que dans un Univers à l’état d’entropie maximum. Un Univers sans causalité, réduit à une bouillie d’atomes de fer, en des réseaux cristallins de neutrons, de positrons, de neutrinos et de photons. Une soupe éternelle dans une nuit froide, sans étoile… Or, l’inverse de l’entropie, la syntropie (du grec sun, avec et de tropos, direct), selon le mathématicien italien Luigi Fantappié (1901-1956), ne cesse de tendre à l’organisation par la différenciation et la complexification.
« La nature est mathématique… elle est ordre et lois, unité et diversité illimitée, finesse, force et harmonie », affirme Le Corbusier (1887-1965) dans son livre en 1950, Le Modulor. Un héritage du mathématicien Leonardo Fibonacci, alias Léonard de Pise (1170-1240). La séquence qu’il a établie est constituée par une suite d'entiers dans laquelle chaque terme est égal à la somme des deux termes précédents. Elle aboutit mathématiquement au « Nombre d’Or » :



Ce dernier, « le Nombre des Mathématiques esthétiques », est omniprésent dans la nature. On le retrouve aussi dans toutes les œuvres de l’homme. C’est le nombre de l’anti-hasard.
Jourdain de Nemore (1180-1240), une autre gloire des mathématiques médiévales, selon Pierre Duhem, un précurseur de Galilée et de Newton, rejette aussi le hasard en sciences.

 

Tag(s) : #Dossiers spéciaux, #articles et vidéos
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