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Par Camille Loty Malebranche

 

Andreas Lubitz, le meurtrier suicidaire responsable du crash de lavion de la germanwings, correspond-il, comme le soutiennent les différents points de vue médiatiques, à l'un de ces trois cas de figure: un erostrate, un dépressif ou un kamikaze?

 

Nous sommes dans un temps qui banalise tout, raye toute substance au gré dune idéologie réduisant la vie sociale à une sorte de gesticulation productrice consommatrice pour des foules et des meutes qui ne croient qu’aux reflets parce qu’inaptes à vivre les essences. La pire crise du sens est dans la simulation convenue dune axiologie hypocrite lorsque tout est vacuité et platitude de vulgaires ombres vénales du matérialisme le plus sauvage, le plus avaricieux.   

 

L’Érostrate mythique s’est emblématisé par son acte d’incendiaire du temple d’Artémis, au double méfait de profanation du sacré et de destruction esthétique, incinérateur d’œuvre d’art, vu que le temple dÉphèse était un chef d’œuvre architectural, une merveille du monde antique. Il est un symbolisme duel de sainteté et de beauté que détruit le héros criminel. Force est de constater que la laideur de l’acte méchant est toujours contre le divin et contre le beau, la Beauté suprême, archétypique de toutes les splendeurs, étant l’apanage exclusif de Dieu qui est l’Ineffable. Toutefois, Érostrate n’aura détruit qu’un symbole, mais Andreas Lubitz, lui, exterminateur de plusieurs dizaines de vies, est entré et restera dans l’histoire de l’aviation et l’histoire tout court, comme un nom spécial de la terreur nihiliste comme antikamikaze, c’est-à-dire un pansuicidé, autodétruit collectif impitoyable mais sans revendication idéologique. D’autant plus que Lubitz, par sa fonction de pilote aviateur a montré littéralement la chute, l’effondrement mortel qu’est en soi, l’horrifiante image de l’avion qui tombe. Prototype même du nihilisme dictatorial suicidaire autocrate absurde et sans scrupule qui impose la mort à quiconque se trouvant sous son autorité décisionnelle.

 

Il est des suicides de désespérance, cest même la plus classique des causes de suicides avant tous les cas de logique froidement idéologique. La désespérance est la forme métaphysique du désespoir que des changements immédiats à la condition désespérée peuvent atténuer et effacer, permettant de sauver le désespéré recouvrant l’espoir... Le désespoir est la condition ordinaire et profane de l’homme perdant un but et une raison de vivre qui peut le porter à l’excès voire à l’irréparable; alors que la désespérance est l’abysse, l’érèbe de l’homme perdu à lui-même, qui dénie tout sens possible sans que ce soit lié à un but particulier, une raison particulière, une souffrance spécifique. La désespérance est le désert intérieur qui transforme une conscience humaine vidée de sens à la haine de l’être en général qu’il considère coupable de ne pas l’avoir laissé néant, et dont lui, l’étant désespérant voudrait être l’exécuteur. C’est le bas-fond de la conscience sans Dieu ni rien, qui ne peut surmonter l’illusion écrasante du non sens, illusion que le désespérant prend pour seule vérité et présence, et donc exigence de suicide.

 

Lubitz, l’antikamikaze absurde.

 

L’antikamikaze est l’autre aspect de l’acte mortel criminel de Lubitz en dehors du fait qu’il  incarne un type de l’Érostrate tel qu’envisagé par Sartre qui arguait dans la nouvelle dont le sombre héros est l’éponyme, en son recueil «Le mur». Sartre y disait pertinemment de cette figure mythologique « que l’on ne se souvient pas de l’architecte concepteur du temple d’Artémis incendié par Érostrate, alors qu’Érostrate le destructeur, lui, nous est resté comme héros ». Là, nous ne pouvons qu’accorder ce macabre héroïsme à Lubitz! Son nom surclassera, comme le font voir des journalistes, à jamais celui de l’autre pilote, le pilote en chef, qui, un moment absent de son poste de commandant, s’il faut croire les enquêteurs spécialistes d’écoute de boîtes noires, s’est vu dénier le droit de reprendre le contrôle de la cabine par l’illustre criminel. Toutefois, ce qui m’interpelle, cest le total non sens du titre de kamikaze que certains attribuent à Andreas lubitz. Lubitz est exactement le contraire du kamikaze, il est lanti-kamikaze, le pansuicidé (le genre de suicidé suicidant tous ceux quil peut entraîner dans son suicide) sans cause politique ou idéologique affirmée. Lubitz l’absurde exécuteur, le romanesque du suicide étendu, le nihiliste pansuicidaire, n’est pas sans évoquer à notre entendement, sans brandir sous nos yeux effarés, effrayés, indignés, toutes les insécurités du monde multipliées par l’aggravation excessive de lextrême crise de valeur qui ravage la société contemporaine. Nul homme au monde n’est plus terrible plus terrifiant que le tueur ne voulant que mourir mais déterminé à faire le maximum de morts pour laccompagner à son départ vers l’abîme. Le kamikaze est le roi incarné du suicide étendu, coryphée de toutes les peurs du défi sécuritaire. Et, quand le kamikaze se terre parmi les individus en fonction responsable de vies humaines et se mue en monstre sans soupçon idéologique, il est l’antikamikaze, et la terreur qu’il draine, se centuple par son imprévisibilité, sa cruauté inqualifiable, son absurdité létale.

 

Quant aux possibilités de crise de dépression ponctuant une mélancolie larvée, thèse médicale pas mal agitée au sujet du grand meurtrier collectif, sans l’accepter ni l’infirmer, disons quAndreas Lubitz est un vrai sous-produit de notre temps de vide où le n’importe quoi, le plus obscur, le plus ténébreux, bref le pire comme lugubre vacuité de substance et d’humanité, semble si facilement phagocyter le bon sens! Comme un souffle macabre éteignant des lanternes jusqu’aux moindres flammèches axiologiques, marginalisant la plus faible trace de vision, la civilisation matérialiste et nihiliste, en substituant les objets de consommation à Dieu et l'humanité comme valeur transcendante de l’individu, aura donc détruit chez celui-ci, tout rapport sain et signifiant à soi, à autrui et à l’être. Nous sommes face à un ordre du monde qui met à quia les proclamateurs de visions saines, non alignées à la toxicité systémique; et les défenseurs du sens et du bon sens sont rendus, aux yeux de la multitude déshumanisée, des "illuminés", des fous.

 

Quand les idéologues du mensonge collectif sont les seuls  oracles admis et imposés par le social, les valeurs humaines transcendantes, profondément spirituelles et morales, ne peuvent être que désertées. Et, lorsque la société substitue léthique du réalisme et du rentable à toute morale et valeur, la crise du sens multiplie immanquablement des fous à la Lubitz portant à lextrême leur propre bas-fonds individuels gonflés du bas-fond systémique. 

 

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

Tag(s) : #Monde du Concept
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